Chroniques

par gérard corneloup

Simon Boccanegra
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra national de Lyon
- 7 juin 2014
nouvelle production lyonnaise de Simon Boccanegra
© bertrand stofleth

Non, Simon Boccanegra ne figure pas dans la liste des ouvrages les plus connus et les plus représentés de Verdi, sur l’ancien comme sur le nouveau continent. Dotée d’un livret de l’habituel Francesco Maria Piave tiré d’une pièce d’Antonio Garcia Gutiérrez, la première mouture est d’ailleurs fort mal accueillie lors de sa création à La Fenice (Venise) au printemps 1857. Donnée à l’hiver 1881 à La Scala (Milan), la seconde version – demandée par l’éditeur Ricordi et pour laquelle Arrigo Boito a revu le texte – est nettement mieux reçue. Aujourd’hui, l’opéra est le plus souvent présenté dans sa seconde mouture (comme ici), mais reste relativement marginal. Peut-être parce que l’argument, centré sur des intrigues « politico-mafioso-vénales » ayant longtemps entaché la vie des républiques italiennes à la fois côtières et commerciales de jadis (de Gènes à Venise en passant par Pise), mêle avec grande complication les rebondissements d’hier à ceux d’aujourd’hui. Boccanegra est donc à part dans le cursus lyrico-théâtral du compositeur. Classique opposition entre patriciens et plébéiens, crimes politiques et conspirations souterraines, coups bas et réconciliations de façade : tout y est, face à l’amour tout simple et ici presqu’incongru de deux jeunes Génois bien décidés à faire leur vie ensemble dans ce maelstrom. La rareté de l’œuvre à la scène vient peut-être aussi du fait que la partition n’est pas l’une des plus flamboyantes du maestro, des plus concises ou de celles qui convoquent les masses chorales, ici cantonnées dans un rôle secondaire. De tout cela ressort la difficulté des trois actes et du prologue hors normes, pour l’artiste chargé de leur donner scéniquement vie.

Cette difficulté est surmontée, balayée même, par la scénographie que mène à bien le jeune metteur en scène allemand David Bösch. Celui-ci a jeté son dévolu sur une vision sombre, inquiétante, perturbante mais terriblement convaincante et fascinante de ce drame où l’officiel côtoie le souterrain, où l’individu est broyé par l’intérêt de classe, la politique dévoyée par le mercantilisme musclé, le tout en étroite collaboration et en parfaite symbiose avec les décors et la vidéo efficace de Patrick Bannwart, les costumes de Falko Herold et la lumière d’une froideur impitoyable proposée par Michael Bauer. Ici, tout est noir ; nul espoir pour les uns (patriciens) ni pour les autres (plébéiens). Ni pour les sénateurs cacochymes, ni pour la jeunesse vindicative des quartiers qu’on imagine périphériques. Même les politiciens ennemis, les pseudos héros de l’affaire, y laissent leur peau, l’un empoisonné, l’autre exécuté. Seule la jeunesse des amoureux sortira de l’affaire sinon indemne du moins vivante.

La dimension théâtrale est l’atout supplémentaire de cette production, qui possède un leader musical de choix avec le jeune Daniele Rustioni. Très à l’aise avec l’ouvrage et sans doute avec l’opéra en général, il équilibre merveilleusement les contrastes et malaxe les masses sonores, porte en avant les voix sans jamais les couvrir, dose tout avec tact, talent, éclat et demi-teintes, naviguant comme un poisson dans l’eau dans les parties instrumentales et vocales soigneusement imbriquées.

En phase complète avec le chef italien, la distribution développe d’infinies beautés, à commencer par le ténor Pavel Černoch dans le rôle de Gabriele Adorno, l’amoureux de service. Au programme : beau timbre, expressif autant que bien mené, aigus clairs, limpides et jamais détimbrés, présence scénique très en situation. Après un rien de flottement initial le soir de la première, heureusement vite gommé, le soprano Ermonela Jaho (Amelia) le rejoint vite dans cet Éden par sa musicalité remarquablement agile et d’une finesse accomplie. Du coup, les deux politiciens, qui représentent la vieille garde, sont parfois un rien dépassés par les événements vocaux – Fiesco de Riccardo Zanellato, mais surtout Boccanegra d’Andrzej Dobber, à l’émission manquant de couleur et d’expressivité. On l’aura compris : dans ce spectacle, la jeunesse triomphe sur toute la ligne.

GC