Chroniques

par gilles charlassier

Simon Boccanegra
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra de Lausanne
- 3 juin 2018
Salvo Sgrò joue Simon Boccanegra (1881), l'opéra de Verdi, à Lausanne
© alan humerose

L'Opéra de Lausanne referme sa saison sur l'un des ouvrages de Verdi les plus redoutables à mettre en scène, de l'aveu même d'Arnaud Bernard à qui l'on a confié cette nouvelle coproduction de Simon Boccanegra – avec Maribor, Bari et Bologne. L'imagination visuelle du Français dans la transposition s'était illustrée avec Nabucco à l'heure du Risorgimento, présenté l'été dernier à Vérone [voir notre chronique du 7 juillet 2017]. Pour le destin du doge malgré lui, il a préféré se garder d'une modernité intemporelle comme des cendres de l'Histoire, choisissant un dispositif très théâtral qui assume le passé de corsaire du héros éponyme.

Sur fond d'immobile couchant de papier peint, horizon à l'occasion masqué par les évolutions des praticables, les poulies, cordages et passerelles mobiles évoquent autant la machinerie des tréteaux que celle des navires. Ainsi s'exprime l'omniprésence de la mer dans le drame, au risque d'artifices au delà de la chaise à porteur signalant l'éminence du pouvoir : Simon arrive dans la salle du conseil suspendu à une grue, image probable des calculs et manipulations politiques dont le doge ne serait que la marionnette. Ce n'est pas un hasard si le Prologue se déroule dans une pénombre de complot, celui ourdi par Paolo, résumée grâce au tamis lumineux de Patrick Méeüs.

Incidemment dépendant de l'instinct des interprètes, le jeu d'acteurs sait souligner les tensions dramatiques, avec çà et là une littéralité plus explicite que nécessaire, à l'instar de la malédiction de Paolo à la fin du premier acte, puissante scène collective tenant d'un lynchage que le livret suggère davantage larvé – lequel restitue mieux les faux-semblants méfiants de la politique, et réserve de la gradation avant la condamnation effective au début de l’Acte III. Pour combler les ellipses de l'intrigue, la louable intention d'élucidation s'illustre dans la pantomime au commencement du spectacle (qui fait l'économie du lever de rideau) où l'on voit la petite Marie et sa mère homonyme retrouver clandestinement le père de l'enfant, image qui reviendra hanter la fin, en consonance avec l'ultime pensée de Simon, abandonné seul à son trépas, et son désir de paix accompli au seuil du posthume. Avec tact, les costumes de Marianna Stránská participent de la lisibilité de l'argument : la robe de la fillette et celle de son double adulte est la même, un délicat exemple de continuité dramaturgique qui compense une mode pas toujours idéalement seyante pour les solistes.

Ceux-ci forment une affiche attirante, pour le mélomane qui mobilise ses souvenirs et ses références. Dans le rôle-titre, Roberto Frontali affirme une aura indéniable dans un portrait psychologique dynamique qui tire parti des ressources de sa maturité vocale, et ne se contraint pas dans le monochrome du polissage technique. En Amelia, Maria Katzarava dévoile un engagement aussi évident que la solidité des moyens, traduisant les contrastes affectifs dans un camaïeu parfois appuyé. Un peu ostensible, l'expression faciale complète un vestiaire où le physique du soprano n'apparaît pas nécessairement à son avantage – on peut avoir des réticences sur l'association entre la coiffe nodale et le patron de la robe. Andeka Gorrotxategi fait rayonner l'audace vindicative et amoureuse de Gabriele Adorno avec un lyrisme vibrant qui s'appuie sur un timbre nourri et solaire, quitte à céder une impulsivité bousculant de temps à autre la justesse. George Andguladze endosse l'autorité paternelle de Fiesco ; il privilégie la rondeur de l'émission à la palette de couleurs. Benoît Capt pèche par une clarté qui manque la noirceur de Paolo, sans compter les limites de l'instrument qu'aucune annonce de méforme ne semble excuser. Alexandre Diakoff campe un Pietro aussi rustre qu'attendu. Mentionnons encore les interventions honnêtes de Tristan Blanchet (Capitaine) et de Myriam Bouhzada (Servante), ainsi que celle, exigeante, du Chœur préparé par Salvo Sgrò, lequel remplace Stefano Ranzani, souffrant pour cette première, et sauve, à la tête de l'Orchestre de Chambre de Lausanne, l'essentiel de la partition de Verdi

GC