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Chroniques
Simon Boccanegra
opéra de Giuseppe Verdi
La rentrée lyrique est décidément verdienne, cette année. Après Il trovatore à Liège, Aida à Nancy et La traviata à Toulouse, Marseille ouvre sa saison avec un Simon Boccanegra confié à l'un des plus grands tenants du rôle-titre, ces dernières décennies, Leo Nucci qui le reprit encore à La Scala au printemps dernier. Pour être appuyé par une connaissance intime du travail du chanteur, le passage de l'interprétation à la mise en scène ne manque pas pour autant d'être une gageure, surtout à l'aune d'une époque qui valorise la prise de risque, sinon l'iconoclasme scénographique.
Assurément la lecture proposée par le baryton italien, et importée de Plaisance, ne cherche pas à forcer le consentement dramaturgique de l'œuvre. Dessiné par Carlo Centolavigna, le décor, lithique jusque dans la table du bureau du Doge, est plongé dans la pierre même d'une Gênes à l'heure gothique et pré-Renaissance. La toile de fond évoque, comme il se doit, mer et navire, patrie du corsaire Boccanegra, immobilisé dans un papier peint moins amidonné que l'antiquaire historicité des costumes élaborés par Artemio Cabassi. Réglées par Claudio Schmid, les lumières accompagnent cet écrin conçu pour mettre en évidence la puissance presque archétypale des sentiments. Si le jeu d'acteurs ne suppute pas d'impensés herméneutiques parfois accessoires, elle témoigne d'une authentique écoute de la musique, dans un esprit d'honnêteté à égale distance de la paresse illustrative et de l'inventivité parfois hors sujet, et restitue le génie du livret, mêlant les fils de l'amour à ceux de la politique.
De belle tenue, le plateau investit sans réserve cette vision équilibrée.
En Simon, Juan Jesús Rodriguez prend dignement le relais de son aîné. S'il paraît vain de comparer l'Espagnol à Nucci, on reconnaît cependant une continuité dans l'humanité intense de l'incarnation. La ligne affirme un legato propice à la bienveillance paternelle et distille une noblesse qui se passe d'aristocrates origines : ici, racines plébéiennes et maturation morale s'harmonisent avec justesse [lire nos chroniques des 15 juin et 10 décembre 2016]. Avec d’évidentes ressources de basse chantante, Nicolas Courjal impose un Fiesco pétri d'affects, même si l'oreille peut se souvenir de timbres plus idiomatiquement patriarches. Riccardo Massi projette un Adorno fébrile et vaillant, qui n'hésite pas à moduler l'émission [lire notre chronique du 1er octobre 2014]. On émettra quelques réserves sur une diction se laissant aller à des facilités d'élocution et des couleurs vocaliques qu'un soliste vernaculaire pourrait s'épargner. Olesya Golovneva fait frissonner la sensibilité d'Amelia dans un format peut-être un peu trop calibré, mais jamais dénué de sincérité : la pertinence des notes l'emporte çà et là sur la chair vocale [lire nos chroniques des Huguenots et d’Otello]. Alexandre Duhamel fait forte impression en Paolo : les moyens de la robustesse ne l'empêchent pas d'en faire exsuder, avec autant d'instinct que d'intelligence, une colérique soif de pouvoir. Saluons également les méritantes interventions des trois comprimarii : Cyril Rovery (Pietro), Christophe Berry (un capitaine) et Laurence Janot (la servante d'Amelia).
Préparé par Emmanuel Trenque, le Chœur de l’Opéra de Marseille remplit efficacement son office. Dans la fosse, Paolo Arrivabeni révèle ses affinités électives et éprouvées avec l'écriture verdienne. Son sens du théâtre s'articule autour des couleurs et des textures de la partition, qu'il n'hésite pas à faire contraster au gré de remarquables effets de houle dramatique. La solidité du savoir-faire ne verse jamais dans la routine et assume la vitalité du spectacle.
GC