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Chroniques
Simon Boccanegra
opéra de Giuseppe Verdi
Après trois longues années loin du prestigieux Festival Verdi dont il faut saluer les initiatives talentueuses, c’est avec émotion que je retrouve le Teatro Regio et la belle et bonne ville de Parme qui m’ont tellement manqué. Alors que l’Italie avait semblé à portée de pas pendant des années, voilà qu’elle était devenue inaccessible durant de longs mois. Ouverte à la mi-septembre, la nouvelle édition du festival parmesan dédié au grand compositeur de l’Italie romantique et citoyenne m’accueille aujourd’hui avec l’une des nouvelles productions mises à son affiche.
Si, en comparaison des innombrables Nabucco, Macbeth, Rigoletto, Traviata, Ballo in maschera, Aida, Otello ou encore Falstaff (par ordre chronologique), Simon Boccanegra reste relativement rare à la scène, il est toujours monté dans sa seconde version, conçue en 1881 pour La Scala (Milan). C’est, d’un point de vue historique et musicologique, une aubaine de pouvoir découvrir la version originale de 1857, celle dans laquelle eut lieu la création à La Fenice (Venise). La mise en scène est confiée à Valentina Carrasco, artiste d’origine argentine qui collabore aux spectacles de La Fura dels Baus sous l’égide de laquelle elle a signé plusieurs travaux [lire notre chronique de The turn of the screw]. Partant d’une transposition de l’action dans le port de Gênes, durant les années rouges de l’Italie, la révolte ouvrière s’imposait et, avec elle, l’idée d’une lutte interne pour le pouvoir syndical puis politique dans un sens plus large. Sous les lumières très travaillées de Ludovico Gobbi, la scénographie de Martina Segna fait voir des espaces inattendus, du dock où l’on se rencontre pour élire le représentant du prolétariat à la fête populaire pour la victoire involontaire de Boccanegra en l’honneur duquel brûle les barbecues, en passant par le container crasseux qui abrite la rêverie intime de la jeune Amelia. Les personnages, que Mauro Tinti situe au début des années soixante-dix à travers ses costumes, se déplacent dans un univers marqué. L’avant-dernier moment du spectacle est joué dans une grande chambre froide, avec son alignement de carcasses animales. Pour finir, le leader se meurt dans un délire de champ de blé, comme regardant vers un avenir radieux… tandis qu’un agneau sera vraisemblablement bientôt sacrifié au règne de son successeur. L’option générale fonctionne assez bien, mais fonctionnerait bien mieux à l’aide d’une direction d’acteurs plus affûtée.
La version vénitienne de l’ouvrage s’avère plus vocale que sa cadette – c’est une chance, lorsqu’on dispose d’aussi bons gosiers que ce soir ! Bravo à Chiara Guerra qui offre un soprano délicat et agile à la Servante. Grâce à une couleur de voix bitumeuse à souhait, une projection très généreuse et une diction exemplaire, le baryton Devid Cecconi, extrêmement investi scéniquement, fait d’Albiani un personnage central de l’argument, ce qu’il n’est pas au départ [lire notre chronique d’Andrea Chénier]. Lyrique et typiquement verdien, le chant du ténor Piero Pretti associe la puissance de l’impact, l’élégance du phrasé et une vigueur naturelle à servir le bouillant Adorno [lire nos chroniques de Nabucco, Lucia di Lammermoor, Il pirata et Ariadne auf Naxos]. La douceur flatteuse du timbre de la jeune basse Adriano Gramigni attire l’attention sur un Pietro soigneusement musical. La couleur suave et la grain formidablement présent de la voix de Roberta Mantegna porte au sommet l’expressivité d’Amelia/Maria. Avec une ligne conduite avec précision et puissance, ainsi qu’une technique qui semble à toute épreuve, le soprano mène le public jusqu’à l’émotion [lire nos chroniques d’Il trovatore, I masnadieri et Ecuba].
Les ennemis luttent l’un envers l’autre à égalité des forces vocales et artistiques – quel bonheur pour les oreilles ! On retrouve avec grande joie l’excellent Riccardo Zanellato qui campe une nouvelle fois, et toujours avec mêmes superbe et noblesse, un Fiesco d’anthologie, par le recours qu’il maîtrise si bien à de complexes contrastes de demi-teintes qui suggèrent habilement le conflit psychologique du personnage. Avec un grand métier, le chanteur, magistral, fait vivre l’âpreté du combat [lire nos chroniques de Luisa Miller à Lyon et à Parme, I puritani, Mosè in Egitto, Macbet, Norma, Don Carlo, Messa da Requiem et Attila, enfin de Simon Boccanegra à Lyon puis à Liège]. Immense verdien, le baryton-basse bulgare Vladimir Stoyanov campe un Simon extraordinaire, par le jeu comme par le chant, d’une autorité immédiate. En même temps incisif et enveloppant, son instrument expose le rôle dans une plénitude indescriptible, d’une élégante humanité qui bouleverse [lire nos chroniques d’Il trovatore, La forza del destino, Otello, Attila et I due Foscari]. Avec un tel cast, me voici largement récompensée des six cents kilomètres parcourus depuis ce matin !
Aux commandes de l’efficace Coro del Teatro regio di Parma, préparé de main de maître par Martino Faggiani, et de la Filarmonica Arturo Toscanini dont on admire la cohésion, Riccardo Frizza cisèle le drame, alors traversé d’une énergie exponentielle. Le chef italien poursuit ainsi un chemin belcantiste déjà très satisfaisant, qui enthousiasme beaucoup et qui réserve bien des promesses et des surprises pour l’avenir [lire nos chroniques d’Un ballo in maschera, Tancredi, I Capuleti e i Montecchi, Otello, Lucia di Lammermoor à Paris et à Venise, Falstaff, Semiramide, Il castello di Kenilworth, Anna Bolena, Lucrezia Borgia et Marino Faliero]. Cette première soirée passée au Festival Verdi a l’effet d’un véritable cordial !
KO