Chroniques

par françois cavaillès

Simone Kermes e Amici Veneziani
Broschi, Händel, Porpora et Vivaldi

Philippe Maillard Productions / Salle Gaveau, Paris
- 22 mars 2019
Le soprano colorature Simone Kermes met le feu salle Gaveau !
© dr

Tout (re)commence par une Ouverture jetée en sortilège par l’ensemble baroque italien Kermes e Amici Veneziani qui nous plonge dans le tumulte des flots de L’Olimpiade, l’opera seria de Vivaldi créé à Venise en 1734. Par un bel effet de volume, les deux violons déposent l’écume à nos oreilles et, bientôt rejoints par l’inimitable soprano colorature Simone Kermes, le rêve de lagune de nous confondre. Les eaux de mars montent bel et bien dans la bonne vieille salle Gaveau mais sous l’impression de redites, le concert de Simone Kermes e Amici Veneziani que (re)voilà date-t-il de cette année ou de la précédente [lire notre chronique du 9 mars 2018] ?

Du parterre aux balcons, mieux qu’un souvenir, la cantatrice blonde à la robe princière bicolore d’époque touche par son jeu de force et de feu, son regard de Méduse et ses amples vocalises lors de son entrée furibarde (Furie terribili) en Armide de Rinaldo d’Händel (1711) [lire notre chronique du 21 mai 2011]. L’attitude hallucinée est maintenue lors du prélude suivant, très vif, tiré du même opéra londonien du Saxon. De fait, jusqu’au bout du programme, fidélité est renouvelée à Vivaldi, Händel et la Kermes, comme aux plus belles heures de sa fructueuse carrière. Si, dans sa mémoire et l’escalier dorés l’on remonte les marches le cœur ému, qui croiser d’autre que Simone Kermes en Cléopâtre, suivant encore Händel par un accès de douceur, le long d’une vaste fresque égyptienne (Giulio Cesare, 1724) ?... Et tant mieux, sous le charme du chant amoureux, tendre puis véloce, de Piangerò, la sorte mia.

La galerie de personnages légendaires fait parfois place à la musique de chambre, ainsi le temps d’un Concerto en ut mineur de Vivaldi, bien attaqué par les musiciens, le premier violon Raffaele Tiseo en tête. Puis, d’une voix câline, porteuse de la sagesse du verbe dans un chant complexe, expressif et bienheureux, revient Simone Kermes en Ottone, chevalier de Thessalie, dans l’air Vede orgogliosa l’onda extrait de La Griselda (1735). Le chemin musical passe ensuite par un vigoureux Combat des songes funestes et agréables, tiré d’Alcina (Händel, 1735) et un solennel Ombra mai fu (Serse, 1738) rempli de tact et de poésie. Plus merveilleux encore, dans le domaine magique de Farinelli, le chant prodigieux requis par le grand air Come nave in ria tempesta, écrit par Porpora pour Semiramide, regina dell’Assiria (1724) est assuré avec joie, justesse et harmonie par l’artiste alors hallucinante, comme dotée d’un orchestre en voix.

Au pied de l’arc-en-ciel, survient la pause. Pourtant l’intensité ne baisse pas en seconde partie de soirée, tant l’opera seria paraît réanimé, avec beaucoup de verve et de vitalité, ainsi que l’émission désormais solaire de Simone Kermes qui, vêtue d’une robe plus moderne et brillante, retrouve l’Ottone de La Griselda pour un fulgurant Dopo in un’orrida procella. Les musiciens offrent un Händel plus dépouillé avec l’extrait Ballo di larve (Admeto, re di Tessaglia, 1727) puis le Prêtre roux tend encore une main divine avec Gelido in ogni vena (Farnace, 1727), qui exige du soprano phrasé irréel, immenses poigne et finesse. Et sous les bravi du public, Simone Kermes l’emporte à nouveau.

L’espoir et le plaisir proviennent aussi de l’orchestre lorsqu’il joue seul, solide, vaillant et uni à l’œuvre pour le vivifiant Concerto en sol mineur de Vivaldi. Mais les derniers feux de la nuit naissent du joyeux soprano, transcendant dans Vedro con mio diletto – l’exceptionnelle confession du héros d’Il Giustino (1724) – et cristallin dans le calme Dité oihme (La fida ninfa, 1732). Quittant Vivaldi pour Riccardo Broschi et l’insolent Qual guerriero in campo armato (Idaspe, 1730), le bond vers des vocalises démentes mène au bouquet final et à la communion amusée avec l’audience. Incroyable, tout comme les bis : le sensuel, acrobatique et délirant Son qual nave ch’agitata de Broschi (Artaserse, 1734), suivi d’un singulier échange franco-allemand de chansons populaires pour appuyer un beau message contre les nationalismes – La chanson d’Hélène, interprétée en français comme le firent Romy Schneider et Michel Piccoli dans le film Les choses de la vie (Claude Sautet, 1970), puis Bitte geh nicht fort, version allemande de Ne me quitte pas de Jacques Brel (1959). Sensible et puissante, Simone Kermes se retire avec Lascia ch’io pianga (Rinaldo), aussi doux et naturelle que l’espérance. Les concerts et les années passent, le plaisir à l’écouter demeure.

FC