Recherche
Chroniques
Siroe, re di Persia | Shiruyih, roi de Perse
opéra de Johann Adolf Hasse
Célébrissime en son temps, le compositeur Johann Adolf Hasse, époux du non moins fameux contralto Faustina Bordoni (grande rivale händélienne de la Cuzzoni-Sandoni), n’est plus guère honoré par nos scènes. Si l’on joue de temps à autres quelques pages de sa musique d’église, on oublie par là même sa pléthorique production lyrique. Fort heureusement, le disque a fait connaître ce musicien et sa fantasque liberté d’invention qui trouvait miraculeusement à s’exprimer dans le cadre stricte de l’opera seria dont il fut, de fait, un très grand maître. Bien souvent, l’actualité des salles se télescope : ainsi voit-on ce soir son Siroe, ressuscité à l’initiative du contre-ténor Max Emanuel Cenčić, quand plus au nord de l’autre rive de la Seine un autre contre-ténor, Valer Barna-Sabadus, chante l’un de ses Salve Regina – profitons de l’événement pour attirer l’attention du lecteur sur l’excellentissime enregistrement de Reinhard Goebel à la tête de Musica Antiqua Köln, entrelardé de fugues et d’ouvertures instrumentales (Archiv Produktion, DGG, 1997).
En coproduction avec le Festival d’Athènes et Parnassus Arts, Château de Versailles Spectacles présente, pour trois représentations, l’opéra en trois actes Siroe, conçu pour le Théâtre Mavezzi de Bologne où il fut créé le 2 mai 1733. Un succès retentissant l’exporterait immédiatement d’Émilie en Campanie, puis vers le nord (Londres, Dresde). Dans le Piémont, Novara (Théâtre Coccia) fit redécouvrir La serva scaltra [lire notre critique du DVD]. Mais qu’en est-il des quelques cinquante-cinq autres ouvrages d’Hasse ? Après le magnifique travail qu’il fit sur Artaserse de Vinci il y a deux ans, Max Emanuel Cenčić a souhaité servir celui que les Italiens avaient affectueusement surnommé il caro Sassone et révéler son écriture invraisemblablement ornementale. Il a choisi l’emprunt libre, pour ne pas dire abusif, de Métastase à l’Histoire : en l’occurrence celle de Shiruyih, futur empereur Kavadh II et fils malaimé de Khosro II Parwîz qui régna trente-huit ans sur la Perse, au début du VIIe siècle [lire notre entretien avec l’artiste].
Violente querelle de succession d’un tyran usé qui semble ne devoir jamais mourir, l’intrigue tourne assez vite en rond, malgré les rebondissements acharnés d’une coterie adverse dont l’imagination paraît moins développée que la haine d’un frère ou l’amour contrarié de l’amante étrangère. La plume d’Hasse y trouve prétexte à délires vocaux et dorures multiples, en une succession superlative de numéros qui ne supportent que l’excellence. Contrairement à la gravure tout juste sortie dans les bacs (Decca), les voix ne satisfont pas d’égale manière. Applaudissons Lauren Snouffer, soprano fiable en Arasse, et la réalisation époustouflante de deux airs à fioritures par Julia Lezhneva qui, dans tout ce que Laodice lui donne à chanter d’autres, connaît de sérieux problèmes d’intonation et de soutien. Terne, le Medarse de Mary-Ellen Nesi (mezzo) sonne peu, ce qui transmet un personnage sans poids alors qu’il est censé être le grand manipulateur de toute l’histoire. Par contre, Roxana Constantinescu donne une Emira flamboyante, généreuse et présente, à l’instar du Cosroe de Juan Sancho, ténor au timbre parfaitement agressif pour cet empereur paranoïaque idiotement amoureux d’une toute jeunette. Dans le rôle-titre, Max Emanuel Cenčić gratifie l’auditoire de l’Opéra Royal de bien des grâces vocales, sans véritable investissement dramatique, cependant.
Le fait que Cenčić signe avec Siroe sa première mise en scène est sans doute pour beaucoup dans cette distance prise avec la scène. Et bien des détails lui donnent raison, à regarder cette production maladroite, imprécisément réglée, et qui s’en tient à un premier degré laborieux. L’omniprésence des projections (Étienne Guiol) pose habilement une ambiance, puis lasse rapidement, même à tisser d’aimables broderies. L’occupation de l’espace n’est qu’anecdotique, comme cette déclamation outrée d’une des servantes-parques du souverain, cousine involontaire des créatures de Mario Bava échappée de Zugarramurdi (Álex de la Iglesia, Las brujas de Zugarramurdi, 2013).
Bien qu’énergique et nuançant avec délicatesse, la prestation d’Armonia Atenea, sous la férule de son créateur George Petrou, déçoit par rapport au disque cité plus haut. Les bois ne convainquent pas, les cordes patinent, etc. Une nouvelle fois l’évidente différence pointe entre la démultiplication des prises de sons qui fera merveille lors du montage, et l’exécution en continu, où il faut se maintenir avec une endurance de chaque instant. Plusieurs références discographiques sont à rappeler à qui voudra connaître mieux la musique de Johann Adolf Hasse : Cleofide par William Christie (Capriccio), I pellegrini al sepolcro di nostro Signore par Gérard Lesne (Virgin Classics), Marc’Antonio e Cleopatra par Claudio Osele (Deutsche Harmonia Mundi) [lire notre critique du CD], Sanctus Petrus et Sancta Maria Magdalena par Michael Hofstetter (Oehms), enfin le magnifique et indispensable Serpentes ignei in deserto par Jérôme Corréas (Ambronay Éditions) [lire notre critique du CD]. Bonne écoute !
HK