Chroniques

par laurent bergnach

six créations d’élèves avec l’Ensemble Intercontemporain
Bierton, Dujoncquoy, Nante, Roux, Sahara et Sylvestre

Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, Paris
- 3 février 2017
six créations d’élèves avec l’Ensemble Intercontemporain
© dr

Pour la troisième année consécutive, un partenariat entre CNSMD de Paris et Ensemble Intercontemporain offre une occasion unique à des compositeurs en devenir : expérimenter leurs idées en collaboration étroite avec des musiciens aguerris, durant huit semaines de répétition et de correction. Ce soir, le programme fait entendre six élèves issus des classes de Durieux, Gervasoni, Naón et Pesson, pris en main par des formations mêlant professionnels et étudiants.

Très inspiré par le jazz et ses hybridations, le Savoyard Tom Bierton (né en 1991) cherche « à traiter la matière instrumentale comme on travaillerait une séquence sonore dans une session de travail électroacoustique, construisant des patchworks très segmentés de tempos et de timbres et recherchant une réelle acousmatique des sons ». Balance entre organique et mécanique, Brink (bord, orée) est une exploration de la pulsation fluctuante. On y entend une clarinette volubile se dessiner sur un fond granuleux, sinon râpeux (trompette et trombone bouchés), avec martellements du piano (Maroussia Gentet). Puis surviennent oscillations, gondolages et cahots qui font le charme de l’œuvre.

Élève d’Hosokawa et de Nodaïra au Japon, Ko Sahara (né en 1989) est Parisien depuis 2014. En choisissant de livrer un quintette à vents, il n’a que deux solution : « imiter ou transgresser » – pour citer Jean-Christophe Vervoitte, corniste à l’EIC, et chef occasionnel [lire notre chronique du 15 décembre 2016]. Trois miniatures résulte de matériaux accumulés pour chacun des instruments. La première rassemble sonorités pointillistes, souffles et frémissements (dont ceux de la clarinette de Marion Allain). Plus nerveuse, la deuxième tranche par son énergie dansante, presque parodique. Enfin, la troisième s’avère plus statique, à l’image de la plainte initiale du basson (Clément Bonnay).

L’Argentin Alex Nante (né en 1992) étudie dans son pays (Delgado, Mucillo, Santero), puis en France (López López, D’Adamo). Aussi prolixe que Rihm qu’il chérit, le jeune homme compte déjà quatre-vingt pièces à son catalogue, certaines couronnées d’un prix. Assurément, la belle facture de Sol negro frappe d’emblée, conçu pour flûte, violon, violoncelle, piano et saxophone soprano (Evgueni Novikov) – « Soleil noir… putréfaction, drame et parodie ; et son contraire : horizon, lumière et pèlerinage » (José Luis Achaval). Mais cette page manque aussi d’audace… Le 23 mars prochain, faisons-nous une autre idée du créateur avec la première d’Estrella de la Mañana, pour piano et électronique !

Marqué par l’apprentissage du clavecin avec Georges Kiss, au début de l’adolescence, puis par la science contrapuntique de Bach, le Suisse Loïc Sylvestre (né en 1992) s’intéresse aux structures symboliques complexes. Toi épars, nulle part, son duo pour percussion et saxophone (Antonio García Jorge) [lire notre chronique du 12 mars 2016], trouve une place singulière dans un programme de quintettes. De plus, il se distingue par son climat onirique et délicat (vibration de l’archer sur la lame, cymbale frissonnante, etc.), parsemé de quelques sursauts.

Paul Dujoncquoy (né en 1989) [photo] se forme au CEE de Reims (prix de composition et de clarinette) avant d’intégrer des classes parisiennes (Durieux, Geslin, Maresz, etc.). Comme beaucoup de musiciens, la littérature japonaise l’inspire : un haïku de la poétesse Hashimoto Takako (1899-1963) est à l’origine d’Hiver pour clarinette, harpe, violon, alto et percussion (Ming-Yu Weng). Rarement heurté, ce mouvement en deux parties (la première s’accélérant, la seconde plus statique) séduit par une demi-teinte aérée, caressante et presque précieuse de raffinement.

Bravant les mêmes professeurs que le précèdent, Matìas de Roux (né en 1988) débute ses études à l’Université Javeriana (Bogota) auprès de Guillermo Gaviria. Pour hautbois, clarinette, violon, piano et percussion, Time friction trouve ses moyens, comme son nom l’indique, dans différents frottements, grincements et raclements. Les tensions qui en résultent articulent un discours voulu fluide et rapide, faisant de cette pièce une étude de rythme autant que de timbre. On trouve un côté dadaïste à ce bazar sympathique, soucieux du tout (machines détraquées, ostinato bruitiste) comme du détail (crécelle, appeau).

LB