Chroniques

par gilles charlassier

Sofi Jeannin dirige la Maîtrise de Radio France
Olivier Schneebeli dirige les Pages, les Chantres et les Symphonistes du CMBV

Philippe Hersant | Cantique des trois enfants dans la fournaise
Auditorium / Maison de Radio France
- 21 février 2019
Philippe Hersant, compositeur à l'honneur de ce concert de Radio France
© stéphane ouzounoff

Quelques jours après la clôture du festival Présences [lire épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 de notre feuilleton], Radio France invite à une mise en regard de deux répertoires que parfois l’on associe, sans pour autant les lier au delà de la juxtaposition. Si le baroque peut rencontrer des échos dans la musique d’aujourd’hui, voire parfois l’inspirer, l’emprunt, quand il intervient, dépasse rarement la citation ou le jeu pastiche, à moins de verser dans une reconstitution à rebours des problématiques de la création.

À ce titre, la démarche de Philippe Hersant se distingue par son originalité, transmuant des formes ou des motifs archétypes du passé dans un langage personnel, nullement réactionnaire. Avec le Cantique des trois enfants dans la fournaise, le compositeur français franchit une étape supplémentaire, en faisant appel à un effectif instrumental entièrement d’époque que la cour de Louis XIV aurait pu entendre. Commande de Radio France créée en 2015 à Abbeville par les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) et la Maîtrise de Radio France, sous la houlette de Sofi Jeannin, la pièce est ici reprise par les mêmes interprètes pour un projet discographique qui célèbre les synergies entre deux institutions que les usages ne pensent pas, de prime abord, à rapprocher.

Sur un poème d’Antoine Gadeau paraphrasant le troisième chapitre du Livre de Daniel, dans l’Ancien Testament, la partition utilise les mêmes ressources que la Messe à quatre chœurs H4 de Charpentier, donnée en première partie de soirée. De cette dernière, Olivier Schneebeli restitue la virtuose facture polychorale héritée des spatialisations romaines et vénitiennes du XVIIe siècle qui ne trouve pas, fors cet avatar présent, d’exemple comparable en France. La disposition des groupes d’interprètes sur le plateau relaie les potentialités expressives de la spatialisation, dans un esprit sensible aux consignes de la Contre-Réforme, sans pour autant abîmer dans le spectaculaire la précision serrée de l’écriture polyphonique ni la sincérité de la ferveur religieuse.

Ce tropisme se retrouve ainsi dans le Cantique d’Hersant qui construit, en une demi-heure, une narration délicate équilibrant l’intimisme des interventions des trois enfants solistes, admirables de justesse, formant trio bien équilibré, avec l’éclat des tutti. Dans cette alternance qui témoigne d’un sens aigu de la dramaturgie et du sentiment, les séquences articulées autour d’un continuo délicat, illuminé par les violes, prennent l’allure d’une méditation à la chandelle irradiant la même innocence que les jeunes garçons juifs condamnés par Nabuchodonosor [lire notre critique du DVD The Burning Fiery Furnace]. Récurrents, les passages a cappella se distinguent par une remarquable pureté de ligne. L’ensemble signale un cisèlement soigneux et inspiré de la facture vocale et incarne, par son recours subtil à une modalité consonante avec le grain spécifique des instruments anciens, une très belle métempsychose musicale qui enrichit autant le corpus contemporain que la compréhension des sources antiques – ce signe ne trompe pas sur la qualité et la réussite du travail de Philippe Hersant [lire nos chroniques de Der Wanderer, Les rêveries, Éphémères et Nachtgesang].

GC