Chroniques

par bertrand bolognesi

soirée Jonathan Harvey et Georges Aperghis
la Sérénade de Schönberg précède

Agora / Ircam et Centre Pompidou, Paris
- 20 juin 2003
© filmfabriek

Voilà déjà quelques années que l’Ircam propose son festival de printemps, permettant d’explorer des esthétiques nouvelles, de confronter musique et danse, d’aller vers d’autres découvertes et de diversifier les expériences. L’édition 2003 explore théâtre, lecture, danse, cirque, et inaugure une série de brefs concerts solistes au jardin des Tuileries, tout en poursuivant avec fidélité le chemin commencé aux côtés des compositeurs.

La soirée de ce vendredi est ouverte à l’Ircam par l’ensemble TM+ et la Sérénade Op.24 d’Arnold Schönberg, jouée avec une agressivité rare. L’alternance de climat âpre ou lyrique est marquée, avec une Marche chantante où la clarinette s’appuie délicatement sur le mordant de la guitare, à travers un je-ne-sais-quoi d’encore un brin romantique, un Menuet violent, acide, presque effrayant, et une Danse donnée avec élégance. Laurent Cuniot affirme une version contrastée assez dramatique. Le baryton Ronan Nédélec brille par la qualité et la chaleur du timbre, la perfection des phrases, mais ne se penche guère sur le texte lui-même. Bref, voilà une partition chanté, certes, mais pas dite, ce qui est dommage, surtout avec un tel instrument.

L’on entend ensuite deux pièces de Jonathan Harvey. La première par les haut-parleurs, puisqu’il s’agissait de Mythic Figures, réalisée à l’Ircam et créée dans le cadre d’Agora il y a deux ans, pour le ballet Utopie de Michèle Anne de Mey aux Bouffes du Nord. On y retrouve des éléments d’une autre pièce pour bande, plus ancienne, Mortuos plango, vivos voco, mais aussi d’œuvres pour violoncelle solo et du cycle mélodique au programme de ce soir. Pour finir, l’on retrouve Song Offering dans l’expressivité génialement déconcertante du soprano Sophie Grimmer, toujours proche d’un texte qu’elle semble faire sien ou inventer à chaque nouvelle proposition, avec de vrais choix interprétatifs (on se souvient, par exemple, d’une version plus effacée de Donatienne Michel Dansac à Radio France, il y a cinq ans, précautionneuse). Le poème de Tagore interpelle. TM+ suit pas à pas les choix de la chanteuse, son chef se montrant attentif à ses évolutions.

Un peu plus tard dans la soirée, nous assistons à Paysage sous surveillance que Georges Aperghis a composé à partir de Bilderschreibung de Müller. C’est la seconde fois qu’il aborde un texte de Heiner Müller, après Die Hamletmachine, vu aux Bouffes du Nord dans le cadre d’Agora. Le texte en était alors proclamé au fil d’une sorte d’oratorio austère et violent, en totale correspondance avec l’univers et l’écriture du dramaturge allemand. Cette fois-ci, Aperghis développe une action, sorte de lutte entre une femme et un homme qui extrapole l’idée d’un meurtre éventuel et la vision d’une caméra de surveillance dont l’œil froid paraît opposé aux emportements qui les traverse dans leurs descriptions et reconstitutions, même si elle est la plupart du temps une action de verbe et de trituration du verbe, véhiculé par les corps qu’il déforme, zoom et tort à satiété par des jeux de projection, de lentilles, de lumière, poursuivant un travail amorcé avec Machination ou Entre chien et loup.

Le travail purement musical – si tant est que l’on puisse séparer la scène du son dans la démarche d’Aperghis – pose des jalons, ne dévoile rien de prime abord, évolue irrégulièrement, par crises successives, disparaissant, reparaissant, se déformant, de même que l’image sur l’écran propose des rétrogradations ralenties.

Les musiciens de l’ensemble Ictus se prêtent avantageusement à l’exercice, servant habilement l’esthétique particulière du compositeur. On se sera souvenu, parfois, des Guetteurs de son, un autre spectacle interrogatif du compositeur, il y a quelques années. Johanne Saunier et Jos Houven sont les acteurs de cette investigation d’un drame objectivé. En marche, pas à pas, vers une nouvelle étape de la quête d'Aperghis vers un seuil à découvrir avec la prochaine Tempête annoncée pour 2005…

BB