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Chroniques
soirée Luciano Berio par Matthias Pintscher
Julien Blanc, Rui Ozawa, Hideki Nagano, Clément Saunier
Une quinzaine de jours après l’anniversaire de sa naissance (il aurait eu quatre-vingt quatorze ans), Luciano Berio est mis à l’honneur d’un concert monographique à la Cité de la musique. Quatre œuvres en font le programme, données par l’Ensemble Intercontemporain dont les solistes encadrent les jeunes musiciens de l’Orchestre du Conservatoire de Paris, selon la formule avantageusement éprouvée. Le menu se déroule en deux temps qui vérifient la même structure, ouverts qu’ils sont par l’une des quatorze Sequenze écrites pour un instrument solo de 1958 à 2002, portraits d’autant de rencontres fécondes dans le parcours de leur auteur, tandis qu’un opus qui requiert le grand effectif en fait le corps principal.
De ces brèves pièces virtuoses que le compositeur prolongerait en Chemins, nous entendons, pour commencer, celle pour trompette et piano résonant, conçue en 1984. Clément Saunier, qui a rejoint l’EIC il y a six ans, entre en scène avec le jeune pianiste Julien Blanc [lire notre chronique du 9 mars 2016], dans une lumière bleutée, pour donner la Sequenza X dont la péroraison tournoie avec une superbe raffinée et techniquement redoutable dans le halo énigmatique et omniprésent du piano, avec une imagination audacieuse. La Sequenza VIIb (1993), qui adapte pour saxophone soprano la Sequenza VII pour hautbois (1969), est confiée à Rui Ozawa, interprète japonaise encore en formation au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMD) où elle se spécialise dans le répertoire contemporain. La pluralité de modes de jeu entretient le mystère d’une déclamation variée sur un bourdon perpétuel – si = H, comme Heinz Holliger, dédicataire de l’œuvre (à l’instar de fa = Ernst Fleischmann, le trompettiste pour lequel la Dixième fut écrite).
Le 15 mars 1973, à la tête du New York Philharmonic, Pierre Boulez dirigeait la création mondiale du Concerto pour deux pianos et orchestre dont les excellents Bruno Canino et Antonio Ballista assuraient la partie solistique. Nous retrouvons cette page sous les doigts d’Hideki Nagano, pianiste à l’EIC depuis plus de vingt ans, et de Julien Blanc dont la saisissante concentration du jeu invite à le suivre d’un peu plus près. Pianissimo, ces artistes glissent un discret carillon quasiment harpistique, insaisissable, d’où sourdent quelques accents furtifs qui n’en rompent point la fascinante étrangeté méditative. Impalpable, la vigueur contrôlée de cet introït avance crescendo jusqu’à cingler ses obstinations, quand surgit un trait de flûte ensauvagé. L’œuvre se construit au fil d’échanges dans le vaste effectif, selon une écriture subtilement cellulaire dont Matthias Pintscher relève, au pupitre, tous les raffinements. Passé un valeureux bruissement s’impose une partie plus calme et développée, avant que cette page passionnante s’achève dans la redite de la figure liminaire. Pourtant difficile quant à l’équilibre de ses éléments, l’œuvre bénéficie d’une lecture rondement menée qui la sert somptueusement.
Il n’en va pas de même de la célébrissime Sinfonia pour huit voix solistes et orchestre écrite en 1968 par Berio, en réponse à la commande du New York Philharmonic qui, avec elle, fêterait cent vingt-cinq printemps, sous la battue de Leonard Bernstein auquel elle fut dédiée. Le 10 octobre 1968, la première se fit sans le cinquième mouvement, intégré lors de l’édition 1969 des Donaueschinger Musiktage pour la création mondiale au complet qu’Ernest Bour menait aux commandes du Sinfonieorchester des Südwestrundfunks [lire notre chroniques des interprétations de Daniel Harding, Matthias Bamert, Michel Tabachnik, Péter Eötvös et Riccardo Chailly]. En effet, outre la sonorisation plutôt mal gérée des Synergy Vocals, l’approche générale manque d’adresse, ce qui porte préjudice au maniérisme génial d’une écriture requérant plus gaillarde ciselure. On quitte la Cité de la musique avec le bon souvenir du concerto.
BB