Chroniques

par laurent bergnach

soirée monographique Kaija Saariaho
Orion (2003), Notes on the Light (2007) et création de Mirage (2008)

Salle Pleyel, Paris
- 13 mars 2008
la compositrice finlandaise Kaija Saariaho, honnorée par l'Orchestre de Paris
© dr

Un concert monographique est toujours un événement, surtout s’il met en avant la musique la plus récente d’un contemporain. Celle-ci fut cependant décevante, bien que débutant avec la création mondiale de Mirage, dédiée aux fidèles complices Karita Mattila et Anssi Karttunen. De la première, Kaija Saariaho dit connaître chaque note, tandis qu’elle apprécie la concentration scénique du second, tranchant avec l’air calme et jovial qu’il affiche à la ville. Dans cette pièce expressive, la voix et le violoncelle établissent un dialogue autour d’un court texte incantatoire de María Sabina, chamane et guérisseuse mazatèque. Dès le départ, la chanteuse entre et invite l’écoute dans la violence du propos. La phrase est intensément investie, mais sans inscrire son interprétation dans la transe. Cette approche est fort juste puisqu’il ne s’agit ni d’un texte de guérison ni d’un texte de bataille tutélaire, mais d’une affirmation de soi (récurrence de « I am ») et de son rôle dans la communauté, soit un exercice social de maîtrise de son propre excès. Saluons une expressivité remarquable alliée à une extrême précision de l’intonation sur les micro-intervalles qui rendent bien timorée l’exécution de l’Orchestre de Paris. Au final, dans sa robe jaune ornée de strass noirs, les bras écartelés et la tête renversée sur un aigu largement déployé, la « femme-étoile filante » paraît s’envoler, en effet ! Découverte avec des oreilles vierges, l’œuvre est reprise en fin de programme, sans vraiment retrouver l’émotion première.

Orion a été créé en janvier 2003 et reste à ce jour la plus grande page orchestrale de la Finlandaise. Le fils mortel de Poséidon y est appréhendé autant comme un chasseur plein de témérité que comme la constellation éthérée et immobile qu’il devient en mourant. Memento mori propose un envahissement progressif de l’espace sonore, semé d’ostinati imprévisibles jusqu’à l’arrivée de l’orgue. Les coquillages agités par le percussionniste évoquent dès lors une danse macabre plus que l’origine marine du héros antique. Dommage qu’on perde ici les équilibres pupitraux et que Christoph Eschenbach délaisse le détail au profit d’une vague impression panoramique. Winter Sky favorise une ambiance de couleurs extrêmement calmes. Diaphane, la flûte y est soutenue par la harpe, rejointe bientôt par un violon des plus tendres. À la fin, une tournerie cristalline s’endort lentement. Pour Hunter, l’énergie est de retour – et Saariaho confie son plaisir d’être débarrassée, au sortir de son premier opéra, du souci de voix à ne pas couvrir. Malheureusement, soulignant l’œuvre à gros coups de pinceaux brumeux, l’exécution qu’on attendait ciselée avec incandescence en appauvrit la possible perception.

Respectant une alternance lent/vif assez classique, les cinq mouvements qui composent Notes on the Light (dédié à Karttunen) ont été créés à l’occasion du cent vingt-cinquième anniversaire du Boston Symphony Orchestra, l’an passé.

« Pour cette pièce, explique Saariaho, j’avais en tête l’idée d’un orchestre qui entourerait le violoncelle, la source de la lumière, comme un voile, comme une ombre. J’avais une idée très claire de la sonorité que je voulais atteindre, ce qui m’a conduit à éliminer tous les cuivres hormis les cors ; je recherchais une sonorité transparente. »

On trouve déjà ce genre de références visuelles dans Yellows, Lichtbogen ou Nymphea. Nous sommes malheureusement loin de la sensualité des œuvres conçues dans les années quatre-vingt. L’on peine à s’intéresser à cet opus d’une vingtaine de minutes. Puisque la créatrice a une prédilection pour la musique de chambre, peut-être qu’une trop vaste formation lui offre une liberté trompeuse, à l’image d’un poète se fourvoyant à écrire un roman ?

LB