Chroniques

par bertrand bolognesi

soirée mozartienne
Momo et Mari Kodama, pianos

Péter Csába dirige Sinfonia Varsovia
Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron / Château-Bas, Mimet
- 5 août 2007
les soeurs Kodama jouent Mozart au Festival de La Roque d'Anthéron
© sylvain couzinet-jacques

Pour contenir un nombre impressionnant d'opus, au regard du peu d'années que leur auteur passa parmi nous, le catalogue mozartien compte beaucoup de futilités autorisées par une démultiplication industrieuse et impulsive des recettes à suivre, des procédés à convoquer pour répondre aux attentes d'un public auquel il fallait plaire coûte que coûte. De cet incroyable amoncellement surgissent quelques trésors, dont trois se trouvent réunis en ce concert qui promet.

L'enthousiasme se modère de lui-même assez vite, tant les lieux souffrent d'une acoustique problématique. Ici, les attaques paraissent étrangement feutrées, là le rendu d'un trait qu'on attendait fluide semble plutôt mou, etc. On a installé une scène contre la façade du château et quatre blocs de chaises séparés par une allée centrale dans la cour. Or, c'est précisément au centre de cette cour que l'acoustique serait peut-être optimale. Si la présence d'un bassin bas peut avoir dicté la géographie choisie, l'on aurait pu avancer l'estrade jusqu'à le recouvrir, favorisant alors un rapport strictement frontal avec l'auditoire. Du coup la façade, qui renvoie le son vers nous, se trouverait un peu plus loin, ce qui ne saurait être sans autre incidence... La chose ne se présente donc pas comme aisée. C'est la première année que le festival utilise ce lieu : aussi est-il à gager que ses maîtres d'œuvre trouveront peu à peu à le faire au mieux.

Amorcé dans un recueillement grave, l'Adagio et Fugue en ut mineur K.546 ménage des attaques feutrées qui s'équilibrent subtilement avec le cantabile des violoncelles (deuxième motif) et s'achève dans une délicate demi-teinte. Dans une dynamique assez restreinte, la Fugue ne s'envenime d'aucune théâtralité. C'est donc une interprétation d'une grande intériorité que signe Péter Csába.

Du Concerto pour piano en la majeur K.488 n°23, Olivier Messiaen écrivit qu'il était « sûrement le plus parfait de tous, sinon le plus beau ! » (in Les vingt-deux concertos pour piano de Mozart, Séguier). Sous la battue de Csába, les musiciens de Sinfonia Varsovia offrent dès l'Allegro initial une articulation souple et gracieuse où les bois dosent savamment les contrepoints. Les fondus et relais du mouvement central révèlent des cordes remarquables. Au piano, Momo Kodama distille une sonorité relativement sèche qui, sans phrasé abusif, intègre un cantabile discret. Elle aborde l'Adagio dans une respiration plus hésitante. Messiaen, encore : « la phrase principale, en fa # mineur, exposée au piano en toute simplicité, nous atteint en plein cœur » ; c'est gagné ! La soliste se montre néanmoins plus « cruellement » technique dans un Allegro assai qui, en dépit d'une nuance scrupuleusement conduite, s'avère un rien exsangue.

Indéniablement, le Concerto pour deux piani en mi bémol majeur K.365 n°10 n'est pas à compter parmi les trésors évoqués en préambule. Quoi qu'il en soit, Mari Kodama rejoint sa sœur pour une exécution tout à fait satisfaisante où s'affirme la fermeté de son jeu. Enfin, une interprétation passionnante de la Symphonie en ré majeur « Prague » K.504 n°38 conclut la soirée. Dans l'Adagio introductif du premier mouvement (Allegro) se retrouve le climat tragique du début du concert. Mais il s'agit d'un tragique directement théâtral, proche des épisodes sur lesquels s'ouvre puis se ferme Don Giovanni, ouvrage qui d'ailleurs verrait le jour quelques mois après cette symphonie – de là à dire que ce menu serait construit comme l’opéra (avec un début et une fin tragiques, aérés en son centre par un doux babillage philosophique)… Outre des trompettes irréprochables, l'exécution fait surgir avec grande élégance des traits chambristes soignés. Tout apparaît alors plus contrasté : en enlevant les pianos, on a aussi rapproché l'orchestre, ce qui change totalement la perception. Si la belle vivacité du Presto final montre tout ce que Rossini puisera plus tard dans Mozart, c'est le tendre Andante médian qui captive l'écoute, Péter Csába n'y atténuant aucune des riches aspérités de l'harmonie tout en maintenant le moelleux du son.

BB