Chroniques

par bertrand bolognesi

solistes de l’Ensemble Intercontemporain
Kaija Saariaho et Claude Debussy

Cité de la musique, Paris
- 20 avril 2013
à l'honneur, la musique de Kaija Saariaho, par les solistes de l'EIC
© priska ketterer

Le cycle dédié à Kaija Saariaho [lire notre chronique de la veille] se poursuit aujourd’hui avec un forum animé par la musicologue Corinne Schneider et la compositrice finlandaise elle-même, que conclut un concert chambriste donné par les quelques solistes de l’Ensemble Intercontemporain. Si certaines soirées font pertinemment se croiser des pages de Sibelius à d’autres de Saariaho, c’est avec une non moindre cohérence que ce rendez-vous fait entendre quatre œuvres de notre contemporaine à en sertir deux de Claude Debussy.

Il arrive malheureusement qu’un beau projet ne rencontre pas la réalisation souhaitable. Ainsi de ce concert qui souffre de certaines méformes. Cendres pour flûte en sol, violoncelle et piano (1998) ne rencontre pas la lumière espérée, sous l’archet d’un Éric-Maria Couturier dont nos pages saluent toujours volontiers le talent mais qui ne fait ici guère honneur à la grande opinion qu’on a de lui. Au piano, l’articulation et la pédalisation rigoureuses de Sébastien Vichard sait « respirer » Cendres, de même qu’Emmanuelle Ophèle domine le trio d’une approche flûtistique sensible.

Conçu pour alto et électronique en 2006 (et créé par Garth Knox la même année), Vent nocturne compte deux mouvements. Comme le souvenir d’un événement musical qui se déroulerait dans un autre espace-temps, les premières vibrations de Sombres miroirs surviennent d’ailleurs. Odile Auboin signe une approche tant concentrée que délicate, soulignant à peine les effets de seconde voix sur souffles. Les mélismes « lâches » s’absorbent dans un ultime motif arpégé, laissant place au lyrisme plaintif de Soupirs de l’obscur sur une sorte de continuo contradictoire (c’est parfois l’électronique qui « accompagne », parfois c’est l’alto).

Retour d’Emmanuelle Ophèle sur le plateau de l’Amphithéâtre et arrivée de Frédérique Cambreling, pour la Sonate en fa majeur pour flûte, alto et harpe de Debussy (1915). Et là, rien ne va plus : l’alto n’est pas toujours sur la note, la sonorité de la Pastorale se fait douloureusement sèche, l’Interlude caresse un fil à linge et le Finale n’en peut plus. Après l’entracte, Sébastien Vichard introduit la Sonate en ré mineur pour violoncelle et piano (1915 également) dans un fléchissement romantique des plus ampoulés auquel répond complaisamment Éric-Maria Couturier : il s’y pâme. Après un Prologue hors-sujet, la Sérénade commence mieux mais bientôt se trouve tour à tour heurtée ou alanguie dans de narcotiques rubati. Après un Finale récuré, retour à la musique de Kaija Saariaho.

De son vocabulaire l’on retrouve le souffle et la parole dans la flûte, les glissandos et le chant de l’instrumentiste dans son médium : Dolce tormento pour piccolo (Emmanuelle Ophèle) fut imaginé en 2004 pour la fidèle Camilla Hoitenga. Cette pièce brève s’impose dans un climat incantatoire haletant. D’un an son aîné, le trio (alto, violoncelle et piano) Je sens un deuxième cœur traverse cinq épisodes d’une subtile expressivité. Avec ces deux opus, nous touchons les meilleurs moments du concert, le violoncelliste accordant enfin soin et présence à son jeu. L’hésitation de Je dévoile ma peau se monte en colère, l’unisson des cordes d’Ouvre-moi, vite ! gèle un ostinato ravélien du piano, tandis que Dans le rêve, elle l’attendait surgit frénétiquement, usant du silence lui-même comme d’une invective passionnée. Le « deuxième cœur » se dessine dans le quatrième mouvement pour s’affirmer sereinement dans le dernier.

BB