Recherche
Chroniques
Sonate à trois – Webern Opus V
– Le marteau sans maître – Dialogue de l’ombre double
Début d’année résolument contemporain au Palais Garnier, avec quatre pièces données par le Béjart Ballet Lausanne, compagnie invitée (pour six représentations) qui ne s’était plus produite sous ses ors depuis dix-huit ans. Le maître n’étant plus (il nous quittait le 22 novembre 2007), c’est le danseur Gil Ramon qui dirige aujourd’hui ces reprises, quatre chorégraphies qui virent le jour entre 1957 et 1998.
Imaginées d’après Huis clos, la pièce de Sartre révélée au public du Vieux-Colombier pendant la dernière année de la guerre, Sonate à trois s’appuie sur deux mouvements de la Sonate pour deux pianos et percussions de Béla Bartók, jouée en fosse par Hideki Nagano et Sébastien Vichard aux claviers, Gilles Durot et Samuel Favre aux baguettes, tous quatre solistes de l’Ensemble Intercontemporain. Ce soir, Elisabeth Ros, Kateryna Shalkina et Domenico Levré donnent ce ballet créé à Essen au printemps 1957 (avec Béjart en personne dans le rôle de Garcin) qui près de trente ans plus tard entrait au répertoire de l’Opéra de Paris. À l’aigu du geste, à sa muette et intense théâtralité, répond la hargne énergique d’un alliage des timbres étonnant en son temps (1938). Cependant, si intense qu’en soit la ciselure, l’interprétation musicale magnifie les contrastes au point d’inventer des timbres nouveaux, d’envelopper la rage morbide de cette improbable heure de vérité sartrienne des mystères d’un cymbalum virtuel, parfois.
La touche jardin du plateau est investie par les violons de Hae-Sun Kang et Jeanne-Marie Conquer, de l’alto d’Odile Auboin et du violoncelle d’Eric-Maria Couturier. La scène elle-même bondit des pas de Daria Ivanovna et Paul Knobloch, recréateurs de Webern Opus V, donné pour la première fois par Marie-Claire Carrié et Jorge Donn à Bruxelles, en 1966. Les aphoristiques Cinq mouvements pour quatuor Op.5 de Webern, écrits en 1909, dessinent l’espace à danser, dans une lecture qui, par la respiration plus que par la couleur, équilibre subtilement leur radicale modernité à l’héritage romantique.
Maurice Béjart construisit son fameux Sacre du printemps en 1962 : c’était à Salzbourg et Pierre Boulez dirigeait les Wiener Philharmoniker. Six ans plus tôt, il rencontrait la musique de Boulez à travers Le marteau sans maître, lors d’un concert du Domaine musical. Les deux artistes, pareillement engagés dans la création, défendront en commun un projet de réforme de l’Opéra de Paris, à la fin des années soixante, malheureusement éloigné par le ministère Malraux, comme l’on sait. C’est ce même Marteau, qui trouva son inspiration dans l’univers de René Char, que Béjart chorégraphia en 1973 (première à la Scala).
En fosse, sept musiciens, plus précisément six instrumentistes et une voix, le contralto d’Hilary Summers qui chante cet opus depuis plusieurs années. Sur les planches, une danseuse, à n’apparaître qu’épisodiquement, et six danseurs, omniprésents eux, comme les joueurs de la partition, comme leurs timbres, leurs phrasés particuliers, etc. Aucune limite à cette analogie qui se garde de trop marquer la correspondance, d’autant que sept étranges silhouettes noires, invites au songe de chacun, portent l’une et les autres, finissant par les mouvoir geste par geste, peut-être métaphore de ce qui fait bouger le corps, peut-être pas. On retrouve Elisabeth Ros, les hommes étant ici Oscar Chacon, Johann Clapson, Julien Favreau, Dawid Kupinski, le très présent Arthur Louarti et Keisuke Nasuno. En fosse, Emmanuel Ophèle est à la flûte, Samuel Favre à la percussion, Gilles Durot au xylorimba, Daniel Ciampolini au vibraphone, Christophe Desjardins à l’alto et Caroline Delume à la guitare, tous dirigés par Jonathan Nott.
Ce point culminant de la soirée était précédé de Dialogue de l’ombre double, œuvre pour clarinette, clarinette enregistrée et piano résonnant, conçue par Boulez en 1985, chorégraphiée par Béjart en 1998 (création à Lausanne par Christine Blanc et Gil Roman). Kateryna Shalkina et Oscar Chacon se cherchent, échangent l’amorce d’un pas, inventent le mouvement, montrent le partenaire à un lion débonnaire, dans un climat ludique et bon enfant, soutenus par Alain Damiens.
BB