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Chroniques
Sonosphère III et IV d’Elżbieta Sikora, nouvelle version
Yeree Suh, Jean-Frédéric Neuburger et Pascal Rophé
La vendange 2024 de ManiFeste, festival annuel de création de l’Ircam, ne promet guère un cru inoubliable, telle est la conclusion qui s’impose à l’issue du quatrième des concerts inscrits à notre parcours [lire nos chroniques des 7, 12 et 13 juin 2024]. Née en Pologne en 1943, installée définitivement en France depuis 1981, Elżbieta Sikora écrivait en 2016 et 2017 Sonosphère III et IV pour le festival polonais Musica Electronia Nova où l’œuvre fut créée dans sa première version. Six ans plus tard, la compositrice revient sur son travail et s’installe à l’institut où la reprendre. « J’utilise à la fois le son traditionnel d’un orchestre et de multiples transformations de celui-ci grâce à l’ajout de sons électroniques composés séparément qui brouillent la distinction entre les deux premiers, explique-t-elle (brochure de salle). La composition spatiale du son a été l’une de mes priorités ».
L’écoute est investie par un lentissimo d’entrelacs dont la répétitivité se laisse malaisément percevoir tant elle est étirée. Il est drument interrompu par des salves percussives, depuis deux postes situés au delà des frontières du tutti, sur la tribune de feu l’orgue du Studio 104. De même le public est-il inclus dans l’espace sonore par l’intervention de cuivres placés au balcon de la salle. L’écriture avance par strates et à gros traits, multipliant ses oppositions entre faux surplaces et nudité des moments en concertino. L’aspect électronique est adroitement fondu dans l’ensemble, se signalant à peine. Une verve rythmique éculée le dispute à la suavité grandiloquente des cordes, au fil d’un partition qui cumule les péripéties. Bref : on est assez content que, bien qu’annoncée d’une durée de trente-sept minutes, l’exécution n’en prenne finalement qu’une vingtaine…
Revenir à une page âgée de quelques cinquante-deux ans se révèle plutôt cruel, tant cette musique ancienne tient à respectable distance la création du jour. Rendant un hommage poignant au politicien chilien Luciano Cruz Aguayo, Luigi Nono – peut-être le centenaire de sa naissance aurait-il pu susciter une programmation qui ne se limitât point à un seul opus – composait Como una ola de fuerza y luz (Comme une onde de force et de lumière) sur un livret du poète argentin Julio Huasi. Convoquant un soprano, un piano, un orchestre et une bande magnétique où la voix soliste est travaillée jusqu’à former une sorte de chœur invisible, la pièce vit le jour à la Scala (Milan) le 28 juin 1972, sous la battue de Claudio Abbado à la tête de l’orchestre de la maison, avec Maurizio Pollini au piano et le soprano bulgare Slavka Taskova (enregistrement Deutsche Grammophon). Elle est ici servie par le pianiste Jean-Frédéric Neuburger et le soprano Yeree Suh, Pascal Rophé dirigeant l’Orchestre Philharmonique de Radio France.
D’emblée le mariage fort personnel des timbres, volontiers râpeux, constitue un monde en soi. La relance des cordes possède une vaste énergie quand la bande nimbe bientôt d’une aura incandescente l’interprétation. La vocalité généreuse convainc pleinement, bien qu’on aurait sans doute gagné à pouvoir saisir la langue dans laquelle les vers sont proclamés – mingrèle, koumyk ou peut-être darguine ? Espagnol, tout simplement – : une glue indifférenciée de voyelles laisse perdre l’impact et la couleur particuliers que, s’il n'en avait voulu pour une raison compositionnelle précise, Nono se serait gardé d’inviter là. La terrible vigueur du piano fait son effet dans un rituel laïc dont la densité laisse pantois. Peu à peu le vrombissement surgrave et les exubérances tragiques des piccolos s’estompent tandis que le chœur invisible, pourtant formé d’une seule voix, s’éloigne à jamais, énigmatique. On en redemande !
BB