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Chroniques
Sonya Yoncheva chez Marie-Antoinette
William Christie dirige Les Arts Florissants
À peine un certain vide dans Paris en cette fin de semaine de la Toussaint, mais la grande salle de la Philharmonie affiche complet pour accueillir Les Arts Florissants et leur fondateur William Christie qui jouent aux côtés du soprano Sonya Yoncheva un programme centré sur la figure historique de Marie-Antoinette d’Autriche (1755-1793). La vie de cette « icône de la féminité contemporaine » – selon Antoine de Baecque, commissaire de l’exposition Marie-Antoinette, métamorphoses d’une image qu’abritait la Conciergerie du 16 octobre 2019 au 26 janvier 2020 – a engendré un personnage de légende dessiné à grands traits. Une curiosité crâne, beaucoup de créativité à se démarquer, et puis la frustration de l’injustice sociale croissante, jusqu’à périr sous le rasoir national : ainsi le destin de la dernière reine de France et de Navarre paraît mieux connu que son apport musical [lire notre critique de l’ouvrage de Patrick Barbier, Marie-Antoinette et la musique, paru chez Grasset].
Conçu selon une méthode musicologique moderne, en trouvant peu ou prou un lien d’influence d’une pièce à l’autre, le concert accorde une place prépondérante à Christoph Willibald Gluck (1714-1787), le compositeur allemand qui suivra l’Autrichienne à Versailles avec immenses réussite et succès dans l’art de réformer l’opéra. En tout premier lieu pourtant, le principal génie de l’époque – et pour toujours : Forever Mozart, comme titrait Godard ! – est rappelé dans la magnifique harmonie et la petite explosion sonore de l’Ouverture de La finta giardiniera (1775). Allegro très jovial, au thème joliment trillé par les cordes, précision et chaleur dans la gradation, tout pour réjouir, sans doute, avant le sinueux Andante grazioso offert dans une louable uniformité orchestrale.
Premier rendu du grand virage gluckiste, l’air Divinités du Styx, extrait d’Alceste (1767), manque des accents dramatiques requis. Le timbre semble très correct, les intonations aussi mais tout juste, enfin toute l’entrée de Sonya Yoncheva est laborieuse, avec un soutien orchestral mécanique. La cohésion des Arts Florissants revient heureusement à son meilleur pour le Ballet des Ombres heureuses (Gluck, Orphée et Eurydice, 1774) et ses flûtes mélodieuses. La voie royale est alors vraiment ouverte pour la cantatrice bulgare, propulsée dans Médée de Luigi Cherubini (1797), cet autre grand novateur bien reçu à Versailles ainsi qu’à Paris. De l’air Vous voyez de vos fils la mère infortunée, la sortie est la plus belle, comme l’hallucinante cavalcade d’un cheval sauvage. Toute aussi puissante, la très spectaculaire Danse des Furies (Orphée de Gluck, toujours) tourbillonne avec finesse, grâce à la maîtrise de William Christie entouré de musiciens déchaînés.
O malheureuse Iphigénie... et bienheureux public, transporté par le doux soprano, ciselé comme un diamant, dans cet air magnétique d’Iphigénie en Tauride (Gluck, 1779) au style dépouillé ; mais comme l’aigu est à vif, le grave réconfortant ! Plus poignant encore, le superbe Non, ce n’est plus pour moi de la Didon de Niccolò Piccinni (1783) abonde en charmes tragiques. Et ainsi se referme déjà une première partie de soirée, inégale dans la forme et dans l’inspiration.
Sémillante à son retour en scène, Sonya Yoncheva surprend fort par l’’identification à la jeune Majesté, dans un dialogue comique avec le chef et dans l’interprétation de deux romances françaises appréciées de la jeune reine. C’est mon ami, attribué à Louis-Claude-Armand Chardin et accompagné à la harpe, puis Plaisir d’amour de Johann Paul Ägidius Martin, autrement dénommé Jean-Paul-Égide Martini, orchestré par Berlioz, dévoilent un soprano splendide et un penchant pour un jeu de midinette. L’étrange élan se poursuit avec deux courtes danses d’Idomeneo (Mozart, 1781) qui conduisent à une mièvrerie lénifiante.
Néanmoins, peut-être dans l’expression d’une sincère compassion pour Marie-Antoinette à travers de meilleurs morceaux vraiment lyriques, Sonya Yoncheva a finalement retrouvé sa place impériale sur les scènes d’opéra [lire nos chroniques de Dardanus, Agrippina, Il Flaminio, Otello, Iolanta, La traviata, Iris, La bohème, Il pirata et Siberia]. D’un timbre ravissant, le chant félin et naturel magnifie le terrible Ah ! Peut-être mes dieux, air à la ligne originale puisé dans Démophoon (Cherubini, 1788). Mieux encore, après l’épique Chaconne, un air également tiré d’Armide (Gluck, 1777) confirme l’infaillibilité de la voix, souple, gracieuse et captivante, dotée d’une force invincible. De sorte que, dans Ah ! Si la liberté me doit être ravie, c’est bien le désarroi profond de la magicienne qui s’exprime en toute beauté. Le voyage aboutit au Rondo de Vitellia (Mozart, La clemenza di Tito, 1791). Les couleurs orchestrales s’y avèrent somptueuses, l’allant vocal implacable pour délivrer sans faute le bouleversant message de confiance en soi et en ses valeurs jusqu’au sacrifice. En bis survient le très émouvant O del mio dolce ardor (Gluck, Paride ed Elena, 1770), puis le retour des deux romances chéries de Trianon.
FC