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Chroniques
Sous le ciel de Quichotte
rushes d’Orson Welles – musique de Roberto Tricarri
Par sa vie et par son travail, Orson Welles n'en finit pas de nous intéresser. Premier prix de mise en scène à quinze ans, mystificateur radiophonique, mari de Rita Hayworth, acteur comique chez Pasolini, il est même devenu le héros d'un roman policier (Black Magic, 2002) qui devrait être adapté au cinéma. La légende n'est jamais loin d'un génie hors norme qui s'attela plusieurs années à ce qui devait s'intituler, avec humour, When are you going to finish Don Quichotte ? Au départ, il y a un programme d'une demi-heure pour la télévision, et puis… « il m'est arrivé plus ou moins, vous le savez, ce qui est arrivé à Cervantes qui commença par une nouvelle et finit par écrire Don Quichotte. C'est un sujet que l'on ne peut plus lâcher une fois qu'on a commencé ».
La production du film débute en 1955 et le tournage (Espagne, Italie, Mexique) se déroule sporadiquement de 1957 à 1976 – continuant même après le décès du rôle-titre, Francisco Reiguera, survenu en 1969. En juin 1985, quatre mois avant sa mort, Welles travaille encore au montage mais n'arrive pas à se détacher d'un film qui demeure inachevé. En 1986, tirée des centaines d'heures de rushes, la Cinémathèque française présente une quarantaine de minutes, puis c'est Jesus Franco, icône du cinéma bis, qui propose sa version, durement critiquée.
Le spectacle de ce soir revient aux fragments originaux, rendant hommage à l'esprit work in progress du film, envisagé sans contrainte de temps ni de pressions hollywoodiennes. Suspendu au centre de la scène, un écran – tournant au besoin sur son axe vertical – présente des épisodes de la vie du héros. Peu à peu, des éléments contemporains apparaissent, comme l'antenne de télévision, le cimetière de voitures, jusqu'à l'éventration de la toile dans une salle de cinéma : Don Quichotte (silhouette squelettique souvent filmé en contre-plongée, la tête dans les nuages) et Sancho Panza (nez rond au centre d'une bouille idoine) n'ont pas fait que traverser l'espace, ils ont aussi gagné l'éternité.
Si l'épisode de l'emprisonnement de Quichotte, doublé par Didier Flamand, offre avec intelligence un timbre unique à ces deux rêveurs en quête, les autres interventions du comédien s'avèrent malheureusement superflues. Avait-on besoin de ce bavard « gardien de mémoire » voulu par le metteur en scène Romain Bonnin ? Pour accompagner ce noir et blanc stylisé, il suffisait bien du baryton Paul-Alexandre Dubois – à peine sorti des représentations d'El Cimarrón [lire notre chronique du 10 février 2007] –, du chant arabe de Louis Soret (ney, luth, hautbois, cornet) et de la musique martialement festive de Roberto Tricarri, inspirée des fanfares méditerranéennes. Car c'est bien le silence qui a rendu inoubliables six musiciens aux bêlements timides, s'éloignant au son de quelques cloches.
LB