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Chroniques
Staatskapelle Berlin
Gustav Mahler par Pierre Boulez
Quelques jours à peine avant le vernissage de l'exposition Œuvre : Fragment | Dessins, partitions et textes choisis et la conférence Œuvre : Fragment avec laquelle il inaugurera jeudi son invitation au Louvre qui offrira de nombreux concert, Pierre Boulez dirige la Staatskapelle Berlin, une formation qu'il connaît bien, désormais, et avec laquelle nous prendrons plaisir à le retrouver dans la musique de Gustav Mahler où il l'a souvent menée – outre du fort bel enregistrement de la Huitième que nous avions salué et distingué [lire notre critique CD], l'on se souvient du concert de Pâques, couronnant la célébration berlinoise du quatre-vingtième anniversaire du maître [lire notre chronique du 27 mars 2005].
La soirée est ouverte par six des Knaben Wunderhorn Lieder. La concision et la rigueur de la lecture boulézienne frappent d'emblée par leur discrète élégance, le soin observé à l'équilibre et à l'onctuosité de l'articulation, la conjugaison savante d'intentions qui jamais ne forceront le trait. Le soprano Dorothea Röschmann, toutefois, convainc moins. Si le grave de la voix paraît un peu âcre dans Rheinlegendchen où l'articulation orchestrale, en revanche, se fait toute tendresse, elle réalise plus legato le « liebes Kind » du troisième vers de Das irdische Leben dont elle assouplit le chant. Ici, Boulez tisse des mystères jusqu'à prendre un risque expressif inouï dans un incroyable PPP pour « Und als das Brot gebacken war… » (avant-dernier vers du poème). Un petit rien de vulgarité, juste ce qu'il faut, teinte l'interprétation vocale de Verlorne Müh, délicatement contrepointée par la grâce de l'accompagnement.
Des approximations de justesse, apparemment dues à un soutient momentanément hasardé, desservent Wo die schönen Trompeten blasen, d'autant soulignées par l'extrême précision de l'orchestre. De même la première vocalise de Wer hat dies Liedlein erdacht, instable et divisée ; plus scindée, celle de la fin de ce Lied libère un timbre qu'on découvre plus coloré qu'il s'était annoncé. Enfin, Boulez fond Lob das hohen Verstandes dans un idéal de clarté sereine d'où ne sourd aucun contraste.
Les mélodies du Knaben Wunderhorn furent largement inspiratrices des symphonies de Mahler, qu'il les ait investie directement de leurs voix ou qu'elles y induisent un développement instrumental de leurs thèmes. Mahler avait initialement imaginé d'intégrer Das irdische Leben (entendu précédemment) et Das himmlische Leben à sa Symphonie en sol majeur n°4. Il ne gardera, finalement, que ce dernier Lied qui conclura l'œuvre dont il dirige la création, le 25 novembre 1901, à Munich – c'est dire si la cohérence du programme de ce soir (comme toujours avec Boulez) côtoie la transparence.
Sans déroger à une vigueur parfois contrastante, Pierre Boulez circonscrit son interprétation dans un équilibre rarement entendu, profitant des grandes qualités des musiciens de la Staatskapelle grâce auxquelles il explore une dimension qu'on pourrait dire plus « classique » du compositeur. Cependant, de l'aimable frémissement initial, le chef déclare dès la reprise tout le relief induit, de même qu'il souligne d'un délicat exergue un certain motif de cuivres (à la fin du troisième tiers du premier mouvement) qui, trois ans plus tard, ouvrirait la Cinquième. Tout en accusant l'audace des alliages timbriques d'In gemächlicher Bewegung, ohne Hast, il en magnifie la toute chambriste délicatesse. Sans céder jamais à la tentation d'élans lyriques trop appuyés, l'exécution entre littéralement dans la lumière avec un Adagio – Ruhevoll – qui lévite. C'est donc tout naturellement que Das himmlische Leben se hisse en ses sommets, malgré une prestation
vocale nettement en dessous du propos.
BB