Chroniques

par vincent guillemin

Staatskapelle Dresden
Mozart, Strauss et Strauss/Rihm

Anja Harteros, Maurizio Pollini, Christian Thielemann
Salzburger Osterfestspiele / Großes Festspielhaus
- 19 avril 2014
au Salzburger Osterfestspiele, Christian Thielemann joue Mozart et Strauss
© christian kasskara

Depuis deux ans, la Staatskapelle Dresden et son directeur musical ont repris le Festival de Pâques de Salzbourg, crée par Karajan pour ses Berliner Philharmoniker et leur y faire jouer en fosse un opéra chaque année. Les Berlinois ayant brusquement abandonné le lieu pour Baden-Baden en 2013, une solution de remplacement fut trouvée dans l’urgence en la personne de Christian Thielemann. Star en Autriche, celui-ci occasionnera certainement un nouveau problème à son départ de l’orchestre saxon, car il semble que le festival tienne maintenant surtout sur son nom.

Constitué d’une soixantaine de musiciens, l’effectif du Concerto en ut majeur K.467 (n°21) de Mozart tranche avec les quarante présents sur scène la veille dans le Requiem du même. Dès l’ouverture pourtant, ce n’est pas un son plein ou lourd qui parvient, mais une approche classique, similaire aux premiers enregistrements de Böhm et Karajan (au début des années cinquante), à l’encontre du Mozart « moderne » ou « baroqueux » entendu ces dernières décennies. Maurizio Pollini joue la partie soliste avec un allant fort rassurant par rapport à ses récitals du début de cette saison, où nous avions craint le pire pour son jeu [lire notre chronique du 14 novembre 2013]. Il est encore plus fluide ici que dans la même œuvre sous le même chef à Berlin en décembre 2012, alors qu’ils avaient choisi de remplacer le Concerto n°1 de Brahms initialement prévu par ce Vingt-et-unième du Salzbourgeois. La chaleur et la vivacité des attaques peuvent aujourd’hui surprendre dans le troisième mouvement, mais elles mettent en exergue la complicité musicale entre pianiste et chef, chacun révélant une grande attention à l’autre tout en gardant ses spécificités stylistiques.

En seconde partie, Also Sprach Zarathustra surprend dès les premières mesures par la vitesse d’exécution. À peine trente minutes suffiront à Thielemann [photo] pour absorber ce monument symphonique, avec une dynamique qui rappelle l’enregistrement de William Steinberg. Comme dans ein Heldenleben Op.40 il y a quelques semaines à Paris [lire notre chronique du 12 mars 2014], le traitement de la Tondichtung n’est pas administré de façon unitaire, mais morcelé de façon à s’adapter à chaque partie de l’histoire. Le prélude est donc très dynamique, puis Von der Hinterweltern plus doux, suivi de Von der großen Sehnsucht nostalgique, avant que ne déferlent les masses sonores brillantes dans Von den Freuden und Leidenschaften. Inutile de continuer l’exposé, cette rigueur élémentaire s’accordant à chaque morceau, à l’insu peut-être d’une exposition globale et d’un pathos délibérément absent, bien qu’il aurait certainement servi à justifier les vingt secondes de silence après la dernière note (quelque peu hors sujet, du coup).

En dernier round, Anja Harteros chante les letzte Lieder de Richard Strauss. Au quatre habituels est ajouté en seconde position un cinquième, retrouvé récemment dans sa version pour piano : Malven fut réorchestré pour l’occasion par le compositeur Wolfgang Rihm, avec une grande finesse et un respect du style straussien. Thielemann étant plus rapide aussi dans ses œuvres que les dernières baguettes ayant accompagné le soprano (Jansons, entre autre), elle n’a plus à se soucier des difficultés techniques qu’à d’autres ces chants pourraient poser, et livre une version d’une tenue magistrale, maintenant chaque note avec une aisance que peu de chanteuses ont maitrisée depuis la création de 1950. La beauté du chant n’occulte pas un léger problème de timbre, peut-être trop grave et pas assez sibyllin, mais surtout un manque d’émotion : Anja Harteros ne semble pas touchée ni encore moins transformée par les vers d’Eichendorff (Im Abendrot).

Il n’en reste pas moins que ce concert est l’un des grands de cette édition, et qu’il aura pu surprendre par la nouveauté des timbres entendus, tant la plupart semblaient disparus depuis plusieurs décennies. Gageons que le Salzburger Osterfestspiele soit encore plus spectaculaire l’an prochain, lorsque le ténor Jonas Kaufmann accompagnera Christian Thielemann dans la Messa da requiem de Verdi.

VG