Chroniques

par gilles charlassier

Steuart Bedford dirige l’Orchestre Philharmonique de Radio France
Michael Tippett et Samuel Barber

Salle Pleyel, Paris
- 1er avril 2011

Le programme du concert de ce soir réunit deux œuvres aussi voisines temporellement que différentes esthétiquement. Commencé lors d’un séjour estival en Suisse en 1939 et achevé aux États-Unis, après un rapatriement précipité par la déclaration de guerre, le Concerto pour violon et orchestre Op.14 de Barber fait allégeance à la tradition post-romantique. L’Allegro initial s’ouvre sur un solo moderato du soliste. L’orchestre se joint sans lutte aucune à la longue mélodie chantée par le violon – on pourrait songer au Concerto pour violon de Sibelius. Le jeune Nemaja Radulovic démontre une belle délicatesse dans la conduite de la ligne comme dans le filage des aigus. La sensibilité du compositeur américain est ici à mille lieux de l’expressionnisme tourmenté de la Mitteleuropa. Le regard reste tourné vers la tradition germanique dans l’Andante, mouvement qui fait concerter le violon avec un hautbois teinté d’une douce mélancolie – on est là proche de Brahms. Le virtuose serbe se montre parfois cabotin, accompagnant de sa haute stature l’élan de l’instrument. Construit sur un mouvement perpétuel confié au soliste, le Presto in moto perpetuo conclut brillamment une partition indifférente aux tourments de son époque et fidèle à ses modèles.

Le violoniste serbe livre deux bis.
Avec le premier, on reste dans l’évocation de la même aire temporelle avec le thème du film de Spielberg, Schindler's List. L’émotion suscitée est directe. Nonobstant la beauté du motif mélodique, la musique, privée des images qui en sont le support dramatique, fléchit vers une compassion parfois facile. Le racolage esthétique du Caprice de Paganini joué ensuite est un délit esthétique sanctionné par l’ovation du public.

Après l’entracte, on change radicalement d’atmosphère. Bien que contemporain de la partition de Barber, l’oratorio A Child of our time de Michael Tippett se montre autrement concerné par les souffrances de l’humanité, éclairées d’une singulière manière par l’époque. L’œuvre, en trois parties comme le Messie de Händel, rappelle Bach du point de vue de l’écriture contrapuntique, mais ce sont des spirituals qui se substituent aux chorals à la fin de chaque partie. Le texte, où affleurent les références bibliques, se veut un message d’espoir en ces temps sombres. Mais l’écriture du compositeur anglais ne se résume pas à une dialectique simplifiée. L’orchestration rappelle plus d’une fois l’école française, et l’usage de la modalité se fait digne héritier de Berlioz – on trouve dans la première partie une marche qui fait allusion au thème du Lacrymosa du Requiem du romantique français. Cette synthèse stylistique originale n’a cependant rien d’une collation de citations ; ce sont plutôt des échos qui résonnent et reflètent le puissant impact d’une musique bouleversante, indifférente aux modernités comme aux conservatismes.

Pour servir cette page rare, le quatuor de solistes réunit Indra Thomas, soprano diaphane, au mezzo caractérisé et contrastant de Nora Gubisch. La partie de ténor échoit à Kim Begley. La basse Jonathan Lemalu est particulièrement sollicitée dans la troisième partie. Le Chœur de Radio France, dirigé par Alan Woodbridge, montre une puissance expressive remarquable. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Steuart Bedford porte l’ouvrage vers l’ampleur de son finale avec un sens du souffle certain, distillant une émotion simple et directe. Il est des chefs-d’œuvre qui méritent de sortir du purgatoire imposé par les injustices de l’histoire de la musique.

GC