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Stilles Meer | Mer silencieuse
opéra de Toshio Hosokawa
Les lumières ne sont pas encore éteintes que les protagonistes, immobiles, se tiennent sur la scène bercée par la rumeur des vagues. Fruit d'une coopération de l'Université de Tokyo, un robot trapu que l'on croirait sorti d'un manga assure, en langue nippone à la diction androïde, que l'on est « dans la zone de sécurité », avant une bourrasque de percussions décrivant avec une étonnante justesse évocatrice, sans céder à l'abstraction rythmique, les spasmes sismiques.
Sur un livret d'Hannah Dübgen – auteure déjà de celui de Matsukaze pour le même compositeur [lire notre chronique du 8 mai 2011] –, réalisé à partir de la traduction allemande de la pièce Umi, shizuka na umi qu’Oriza Hirata écrivit à la mémoire des victimes du tremblement de terre de Fukushima (11 mars 2011), Stilles Meer de Toshio Hosokawa, commandé par la Staatsoper de Hambourg, témoigne d'une rencontre aussi personnelle que décantée entre Extrême-Orient et Occident. Elle se lit jusque dans l'intrigue : ancien partenaire de Claudia, le danseur allemand Stephan vient retrouver la mère de leur enfant mort dans le tsunami pour l'arracher, en vain, à son exil et lui permettre de faire le deuil.
À la suite de Tōru Takemitsu dont on peut considérer qu'il est un des héritiers, Hosokawa affirme une écriture subtile où, sans se confondre, formes et couleurs se fondent en un discours fluide et délicat, d'une transparence jamais désincarnée qui ne renie pas plus l'école française (en particulier le traitement des bois) que les traditions de l'archipel – nous applaudissions récemment la création d’Aeolus–Re-turning III à Paris [lire notre chronique du 7 janvier 2015]. Outre un intermezzo entre la deuxième et la troisième scène qui reprend en partie le matériau du prélude, l'architecture ménage des soli référencésarie qui ne rompent aucunement la continuité dramatique, funambule émouvant, voire envoûtant, entre tension et détachement, au diapason d'un texte économe où l'action se fait essentiellement intérieure.
Le spectateur se trouve ainsi plongé dans une alchimie entre affects et éléments où signes et rituels n'ont pas besoin d'emphase pour faire sens. De même la partition n'a-t-elle pas à choisir entre avant-garde et réaction néotonale : l'évident souffle mélodique ignore les facilités du système harmonique. Plus encore que George Benjamin dans le très (trop ?) célébré Written on skin [lire notre chronique du 25 novembre 2012], Toshio Hosokawa livre avec Stilles Meer un avatar exemplaire du renouveau du genre lyrique, dans lequel sens de la synthèse, instinct théâtral et originalité du langage ne s'annulent pas [lire nos chroniques de ses précédents opéras, The raven et Hanjo].
C'est à l'écrivain japonais lui-même que la mise en scène a été confiée.
Dessiné par Itaru Sugiyama, le dépouillement du dispositif circulaire symbolique d'où s'élance un promontoire vers l'ailleurs, capture la direction d'acteurs réglée avec une mesure et une concentration admirables par Hirata, sur fond de lumière minimaliste calibrée par Daniel Levy. Les costumes d'Aya Masakane ne cèdent pas davantage à l'exotisme.
Pour servir ce que l'on peut d'ores et déjà qualifier de création majeure de la saison, sinon au delà, on a fait appel à un plateau vocal tout aussi exceptionnel. Avec une puissante maîtrise expressive, Susanne Elmark étire l'attente sans repos de Claudia qui ne peut oublier son enfant disparu [lire notre entretien]. Mihoko Fujimura [lire notre chronique du 9 mars 2008] déploie les ressources de son mezzo pour Haruko qui ne pâlit pas devant l'intelligence musicale de premier rang dont Bejun Mehta fait preuve en Stephan [lire notre critique du CD Orlando et notre chronique du 3 octobre 2004]. Respectivement Hiroto et Taro Sakamoto, Viktor Rud [lire notre chronique du 12 août 2014] et Marek Gasztecki [lire notre chronique du 11 avril 2006] se révèlent indéniablement en situation, sans oublier l'innocence de la petite fille, Miyuki, dévolue à Yui Sato. L'investissement du Chor der Hamburgischen Staatsoper, préparé par Eberhard Friedrich, et du Philharmonische Staatsorchester Hamburg placé sous la baguette inspirée de Kent Nagano [lire notre entretien], parachève la réussite d'une production qui fera date.
GC