Chroniques

par bertrand bolognesi

Stradivaria, Les Cris de Paris, Daniel Cuiller
Henry Madin | Diligam Te, Domine HM 22 – Te Deum HM 28

Chapelle royale, Château de Versailles
- 27 juin 2015
le Te Deum d'Henry Madin n'avait pas été joué depuis 1762 !
© bertrand bolognesi, 2007 | louis XV par quentin de la tour, 1748

Du Lorrain Henry Madin, on ne sait plus guère aujourd’hui qu’il fut successeur de Campra et collègue de Mondonville à la Chapelle royale à partir de 1741. Ce prêtre musicien né à Verdun en 1698, dont sont répertoriés vingt-cinq grands motets et plusieurs messes, composa, comme il se devait alors pour fêter les victoires royales et autres événements de la cour, un Te Deum saluant la prise de Fribourg par Louis XV, le 5 novembre 1744, œuvre qui serait rejouée l’année suivante à l’occasion de la reddition de Tournai (19 juin 1745) faisant suite au siège de cinquante-six jours par le maréchal-comte Maurice de Saxe sur ordre du roi de France – deux épisodes de la Guerre de succession d’Autriche.

1762. Pour la dernière fois est donné le Te Deum de Madin, ici-même, en ces années d’impopularité de Louis XV, d’ailleurs poignardé in loco par Robert-François Damiens cinq ans plus tôt. Depuis, plus personne ne l’entendit. Aussi Daniel Cuiller a-t-il décidé de le faire sonner à nouveau, de préférence dans sa chapelle d’élection et avec un enregistrement à la clé qui bientôt paraîtra dans la collection Alpha-Versailles plusieurs fois évoquée dans nos colonnes [lire nos critiques des CD Pancrace Royer et Marc-Antoine Charpentier].

Mais avant d’inviter à la découverte de la musique d’Henry Madin, le concert est introduit par A solis ortus cardine, fort belle pièce du Rémois Nicolas de Grigny (1662-1703), qui conclut son Premier livre d’orgue contenant une messe et quatre hymnes pour les principales fêtes de l’année, édité en 1699. De la rampe qui surplombe la nef, le soprano Anne Magouët ouvre la cérémonie a cappella, intervenant ensuite entre chacune des parties de cette page. Le Plein jeu lui répond en grande pompe, quand la Fugue à cinq développe le choral dans une édifiante fluidité. Après le thème en déploration du Trio, Henri-Franck Beaupérin (titulaire du Cavaillé-Coll de la cathédrale Saint-Maurice d'Angers) cisèle la péroraison triste du Point d'orgue sur les grands jeux où se croisent chant, bourdon et paysage en broderies qui fait montre d’une inventivité en avance sur son époque.

D’abord en petit effectif, l’ensemble Stradivaria et un sextuor vocal entonnent le motet Diligam Te, Domine : l’hommage à Henry Madin commence véritablement. On y retrouve la voix ronde, la générosité de timbre, la longueur de souffle et la légèreté de l’attaque d’Anne Magouët, décidément admirable. Après un vif répons à cinq, la pièce va son cours, à la faveur des brèves interventions de la basse Geoffroy Buffière, entre autres. Au grand chœur et à l’orchestre de prendre place ensuite, Les Cris de Paris (que dirige Geoffroy Jourdain) et Stradivaria au grand complet.

D’emblée, grand tralala de trompette et timbales ! Ce Te deum alterne en effet une pompe certaine à des moments plus recueillis. Également entendu dans l’opus précédent, Robert Gretchel (ténor) affirme l’idéale clarté qui fait naître l’ornement vocal tout en finesse. De même faut-il saluer Augustin Humeau pour un trait de basson bien mené. Le flux choral, parfois doublé par les flûtes, témoigne d’une conception raffinée. Quoiqu’un peu tremblant, Alain Buet (basse) fait bon office, notamment dans le très dramatique Judex crederis esse venturus, impressionnant. Au premier soprano, déjà cité, s’associe désormais Michiko Takahashi, à l’impact plus serti et au chant infiniment précis. Double-final pour ce Te Deum : le sien propre et, comme il se doit à Versailles, Domine, salvum fac regem tel qu’écrit au plafond.

BB