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Chroniques
Sumidagawa
opéra de Susumu Yoshida
Au moment où le passeur de la rivière Sumida – qui traverse Tokyo – embarque ses voyageurs, apparaît une femme folle de douleur, à la recherche de son fils enlevé voilà plusieurs mois. De l’autre côté du fleuve, des pèlerins prient pour un jeune garçon, mort il y a tout juste un an. À force de questions, l’identité ne faisant plus aucun doute, la mère sait que sa quête s’achève sur la tombe de son enfant.
Si l’argument de l’opéra-nô de Susumu Yoshida (né en 1947) rappelle, sans l’ombre d’un doute, Curlew River de Britten [lire notre chronique du 10 avril 2005], c’est que la même pièce de Motomasa Kanze, dramaturge du XVe siècle, a inspiré les deux compositeurs. Cependant, l’Anglais avait christianisé l’histoire, tandis que Yoshida, nourri de shintoïsme, revient aux sources pour son troisième ouvrage lyrique, émotionnellement très prenant.
Présentée cet hiver à Quimper, Nantes et Angers, cette commande du Théâtre de Cornouaille, coproduite avec Angers Nantes Opéra, devait comporter deux chanteurs au maximum, d’où le choix de la Rivière Sumida parmi plus de deux cents pièces de Nô. Un tel projet s’est révélé passionnant pour le créateur qu’il confronta à de nombreuses questions : « Comment traiter la dramaturgie spécifique du Théâtre Nô – l’auto-présentation des personnages, le mélange de la première personne et de la troisième personne et la liberté spatio-temporelle, par exemple ? Comment adapter le texte original qui est d’une haute tenue mais incompréhensible aux japonais d’aujourd’hui ? Comment comprendre le côté bouddhique et chamaniste de la pièce ? »
Michel Rostain connaît bien l’univers du musicien dont il mit en scène Enka III, Les Portes de l’Enfer, Chamanes, etc. Afin de partager cette familiarité, il choisit de proposer deux fois dans la même soirée cette nouvelle pièce de quarante minutes, dans une lenteur non soulignée. Proche des sources littéraires et picturales, une première exécution offre au public un surtitrage ainsi que des gros plans sur le bandeau peint tendu en travers de la scène (le récit en vignettes). La reprise universalise le propos avec des personnages modernisés (ombrelle, photo, journal) en évitant la redite de la traduction au profit d’une proximité avec la musique.
Investis diversement d’une partie à l’autre – comme s’il pouvait être intolérable que les deux soient émus en même temps –, les chanteurs ont eu le courage d’affronter un livret en langue japonaise. Déjà salué dans Golem [lire notre chronique du 14 janvier 2007] et dans Doña Francisquita [lire notre chronique du 30 juin 2007], le baryton Armando Noguera jouit d’une émission facile et d’une qualité de timbre toujours égale. Plus tendu, le soprano canadien Karen Wierzba offre des pianissimi d’une délicatesse inouïe. Complices sur la prière chantée devant la tombe, les percussionnistes du quatuor Rhizome s’emparent d’un matériel minimal tantôt rythmé (le mouvement perpétuel qui, entre autres, ouvre et clôt la partition), tantôt aéré (la succession cymbale/fouet/grelots/tam reprise trois fois, chaque note séparée par un court silence), jusqu’à laisser souvent la voix nue.
LB