Chroniques

par gilles charlassier

Sunwook Kim joue Mozart, Beethoven et Moussorgski

Piano**** / Salle Pleyel, Paris
- 27 janvier 2011
Boun-Sook Koo photographie le pianiste Sunwook Kim
© boun-sook koo

Piano**** montre un sens de l’organisation d’une efficacité surprenante. Ivan Moravec ayant été contraint, pour des raisons de santé, d’annuler son récital, l’organisateur a décidé de présenter pour la première fois à Paris le pianiste coréen Sunwook Kim. En quelques jours, le nouveau programme était rédigé, passé sous presse, prêt à passer dans les mains des bienveillants auditeurs de cette soirée de substitution.

Le concert s’ouvre sur le Rondo en la mineur K.511 de Mozart. Le jeune interprète fait sentir une mélancolie un rien aseptisée dans cette page contemporaine de Don Giovanni. Sous les sonorités un peu froides du piano et le jeu précis, le visage si idiomatique du divin Wolfgang se laisse cependant reconnaître.

Après cette mise en bouche, on affronte Beethoven, et non le plus facile, avec la Sonate en mi majeur Op.109 n°30. Cette œuvre de la dernière maturité témoigne des libertés prises à l’égard des conventions de la forme sonate. Les recherches formelles sont poussées à un haut degré de novation. Le premier mouvement, Vivace ma non troppo, se détourne de la dialectique inaugurale consacrée par la tradition du genre. Les deux motifs, tout en souplesse, tout en courbes, semblent presque improvisés. Point là de grand commencement. Le Prestissimo doit être enchaîné sans transition et joué avec la même fluidité. Cette apparence de légèreté ne saurait masquer un sens architectonique achevé. Le finale, Gesangvoll, mit innigster Empfindung (Andante molto cantabile ed espressivo), est le plus long et le plus audacieux des trois mouvements, avec ses cinq variations qui exploitent les possibilités rythmiques et polyphoniques du thème initial. Il requiert du pianiste un sens affirmé de la construction et de la plastique harmonique. Fluidité et rigueur doivent aller de concert pour rendre les beautés de cette page extraordinaire.

On continue avec la Sonate en ut # mineur Op.27 n° 2 « Mondschein ». Le fameux Adagio sostenuto est conduit sans effets de manches, sans se départir d’une certaine raideur – bien que plus accessible ici, Beethoven impressionne encore, et la timidité face à un tel géant est compréhensible. Le front de notre Coréen perle de sueur tandis que l’Allegretto est joué avec une sage digitalité qui en manque la fantaisie sous-jacente. La rigidité prend souvent le pas sur la colère dans le Presto agitato final.

Après l’entracte, nous quittons la complexité et la subtilité de l’architecture beethovienne pour la succession impressionniste des Tableaux d’une exposition de Moussorgski. Sollicitant moins l’intellect, les formes brèves réussissent mieux à Sunwook Kim. La partition revêt l’apparence d’une ballade un peu décousue au milieu de tableaux divers, où le reprise régulière de la Promenade, dont les teintes harmoniques et rythmiques évoluent au fil de l’ouvrage, donnent une lâche cohérence. C’est que la construction ne suit pas les canons établis. En se suivant, les morceaux révèlent des parentés. La forme sonate est en réalité éclatée et disséminée dans l’œuvre, laquelle s’achemine vers son apothéose par La grande porte de Kiev.

La puissance de ces Tableaux d’une exposition tient à sa dramaturgie implicite. Ici, le pianiste se contente vraisemblablement de l’explicite. Les miniatures sont souvent plutôt bien caractérisées, mais la progression thématique est peu perceptible, limitant l’ampleur grandiloquente de l’arrivée à La grande porte de Kiev à un martèlement assez plat du clavier. En bis, Sunwook Kim se montre plus à l’aise dans l’un des Intermezzo Op.118 de Brahms, tandis que son Impromptu D899 Op.90 n°2 de Schubert pèche par un jeu beaucoup trop mécanique, un rubato lacunaire et une absence de demi-teintes.

GC