Chroniques

par david verdier

Susanna Mälkki dirige l’Ensemble Intercontemporain
Aperghis, Birtwistle, Lachenmann et Lévinas

Cité de la musique, Paris
- 29 novembre 2011
L'EIC joue Aperghis, Birtwistle, Lachenmann et Lévinas
© dr

En filigrane d'une thématique Paul Klee initiée par l'exposition en cours in loco, l'Ensemble Intercontemporain propose un parcours sonore en forme de voyage dans le temps, décliné en quatre noms très différents et tous emblématiques, à leur manière, de la création musicale.

Appels de Michaël Levinas porte difficilement le poids des années Darmstadt, dont la charge idéo- et musicologique semble désormais datée. Cette partition fut créée par L'Itinéraire à l'époque où La Rochelle avait un festival digne de ce nom. Le rôle central est dévolu au cor qui profite de certaines facilités d'écriture pour vibrionner à tue-tête, emportant avec lui les autres instrumentistes dans un joyeux et pimpant vacarme. Ces élans projetés au devant de la scène se brisent successivement par le jeu des accumulations. De longues notes tenues aux percussions résonnantes viennent mettre un terme à cette pièce somme toute assez courte de durée et de hauteur de vue.

Plus proche de nous, Pièce pour douze de Georges Aperghis est écrite pour un ensemble d'instruments répartis en demi-cercle. Cette disposition renvoie à la seule forme de théâtralité ici perceptible. On ne retrouve dans la partition aucun signe pouvant laisser entendre qu'elle pourrait être resituée dans un cadre scénique. Au centre des enjeux se trouve la vibration (ténue mais bien présente) d'une phrase circulant d'un extrême à l'autre de l'ambitus sonore. La fragilité des accords et des timbres contraste à certains moments avec des passages plus heurtés dans lesquels les instruments à vents peuvent libérer un volume resté trop longtemps étouffé. Ces accents ne durent pas, et tout l'art de la ligne musicale est dans la chute – obstinée et perpétuelle – qui vient clore toute tentative d'émancipation dynamique.

Cortege, a ceremony for 14 musicians (2007) est écrit en hommage à Michael Vyner, ancien directeur artistique du London Sinfonietta. Harrison Birtwistle [photo] signe une pièce majeure et inventive, malheureusement rarement jouée et – sauf erreur – donnée pour la première fois par l’EIC. Par pure ironie, on pourrait y voir une réponse à la pièce précédente car la théâtralité la plus évidente y semble à l'œuvre. Un théâtre de gestes et non de mots, mais un théâtre sonore extraverti qui assume pleinement son statut. Largement inspirée de Ritual Fragment, cette pièce (non dirigée) propose à quatorze musiciens répartis symétriquement de part et d'autre de la scène de venir tour à tour interpréter une partie soliste sur le pupitre central et de se positionner dans la place laissée libre par le soliste en train de jouer. Un dense tissu de notes bourdonne en continu à l'arrière plan tandis que les solos éclatent en traits virtuoses et colorés. Sans jamais de temps morts, le flux semble se diviser et se multiplier en un contrepoint barbare et saisissant.

Rien de moins qu'une seconde partie tout entière pour laisser à Concertini d'Helmut Lachenmann l'espace nécessaire à sa résonance. Cette partition de quarante minutes a été donnée pour la première fois au Festival de Lucerne par l'Ensemble Modern. On trouve (dès le titre) une volonté d'induire en erreur son auditeur qui imaginerait plusieurs concerti, dans la droite ligne du Birtwistle précédent. En guise de concertos, Lachenmann propose des « situations concertantes » faites de gestes sonores et de jeux avec l'espace acoustique ; pas nécessairement d'instruments solistes, mais un rôle concertant attribué à des paramètres inédits comme la résonance ou des figures rythmiques. Le concept de « musique instrumentale concrète » est sublimé par l'évitement d'un concept limité au « bruitiste ». Il en ressort une circulation d'énergies parfois contradictoires et d'un brouillage des sens et des sons qui opère – comme souvent – à la façon d'une forêt de lianes impénétrable qu'il s'agit de parcourir à la seule lumière de son écoute.

DV