Chroniques

par bertrand bolognesi

Susanna Mälkki dirige le Philhar'
Beethoven, Sibelius et Strauss

Salle Pleyel, Paris
- 23 mai 2008
la cgeffe finlandaise Susanna Mälkki photographiée par Simon Flowler
© simon flowler

C’est la création française d’une œuvre écrite il y a treize ans par Aribert Reimann sur sept poèmes d’Emily Dickinson que le public est venu découvrir. Malencontreusement souffrante, Christine Schäfer, qui chante souvent la musique du Berlinois, est contrainte d’annuler sa prestation, de sorte que Finite Infinity ne se laissera pas entendre cette fois-ci, cédant la place à… la Troisième de Beethoven (oui, vous avez bien lu).

Au mélomane parisien, qui jusque-là, apprécia le talent de Susanna Mälkki dans le répertoire contemporain, s’ouvre alors la possibilité d’en aborder la superbe dans le domaine « ancien ». De 1804 à 1913, il écoutera la patronne de l’EIC livrer, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France à la petite harmonie en particulière bonne forme, ses approches choisies d’un hier dont elle ne manque pas de souligner le possible aujourd’hui.

D’emblé preste, voire leste, l’Allegro con brio de la Symphonie en mi bémol majeur Op.55 n°3 impose une fluidité inattendue qui fait fi des contrastes habituels. Mais la lecture ne se tourne pas pour autant vers un classicisme soucieux d’équilibre parfait ; les choix d’articulation et d’accentuation n’oublient jamais l’impétuosité d’un auteur que, sans conteste, l’on trouvera à l’étroit dans son siècle. Ainsi la reprise du thème initial cède-t-elle en urgence ce qu’elle promit de serein. Cet abord d’une exigeante fermeté scelle une Marche funèbre enlevée par un trot digne où la clarinette naît d’un relief presque douloureux. Sans regarder jamais en arrière, le mouvement avance dans le plus grand dépouillement, débarrassé de toute pompe. À l’inverse, l’Allegro vivace déploie une emphase rageuse que le conclusif Allegro ma non troppo mène avec une frémissante espièglerie, non dénuée d’élégance, vers une furieuse jubilation. L’approche personnelle de la baguette finlandaise sait conjuguer ses propres élans aux conceptions dites « baroqueuses »des symphonies de Beethoven ; autrement dit, elle parvient à replacer l’œuvre dans son contexte historique tout en n’oubliant pas l’histoire de l’interprétation.

Un bon siècle plus tard, Jean Sibelius compose son Opus 14, soit Le barde, bref poème symphonique s’inspirant de Runeberg, poète national d’expression paradoxalement suédoise (né presque en même temps que la symphonie précédemment jouée). D’une inflexion sombre et grave qui semble demeurer toujours sur un commencement à l’exclusion de tout développement, la première partie de l’œuvre invite à une méditation lasse que le second épisode, sorte de réminiscence furtive qu’on pourrait croire avortée, ne parvient pas à contrecarrer. L’interprétation cultive un climat de recueillement traversé par une dynamique délicate et soignée.

Petit recul médian, pour finir, avec Tod und Verklärung de Richard Strauss, encore une œuvre habitée par la mort, comme la jeunesse de son auteur (vingt-cinq ans). À l’encontre d’un Schönberg qui, presqu’au même moment, l’intègrerait au sarcasme dans la suite de Mahler, la mort inscrit Strauss dans un héritage romantique. Susanna Mälkki réserve un grand suspens à l’introduction, annonçant sept ans plus tôt celle d’Also sprach Zarathustra et où se laissent déjà percevoir, dans l’arrivée de la seconde section, les toniques excès d’Elektra. L’exécution de ce soir bénéficie d’un ressort dramatique remarquable, mais, surtout, révèle la diversité d’approche de Mälkki. Ici, la partition ne semblera pas indiquée, comme pour Beethoven, ou portée vers la lumière, comme pour Sibelius, mais tissée en profondeur, dans un lyrisme polychrome subtilement nuancé. De fait, c’est musicalement vers Rosenkavalier et intimement vers les Cinq derniers Lieder que tend l’ultime étirement contemplatif, magistralement mené.

BB