Chroniques

par bertrand bolognesi

SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg
Sylvain Cambreling joue Stravinsky, Varèse et Widmann

Festival d’Automne à Paris / Opéra national de Paris, Auditorium Bastille
- 25 novembre 2007
Sylvain Cambreling signe un piètre Sacre (Stravinsky) à l'Opéra Bastille
© dr

Poursuivant cette longue tradition qui, depuis ses commencements, le lie à la musique de son temps, le Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg envahit la scène de l’Opéra Bastille où sonneront deux classiques du XXe siècle – et, avec l’Opus 4 de Webern et les Altenberg Lieder de Berg (fameux Skandalkonzert viennois du 31 mars 1913), sans doute les plus célèbres scandales du genre.

C’est Déserts d’Edgar Varèse qui ouvre le feu, dans une exécution dont on goûte d’abord l’hyperdéfinition des attaques de cuivres. À la tête de l’illustre formation dont il est le patron depuis huit ans, Sylvain Cambreling maintient l’interprétation dans une tension maîtrisée. Après la première interpolation sur bande, la nouvelle section instrumentale, d’une approche plus calme, bénéficie d’une articulation soignée, dans un équilibre moins contrasté. La tension initiale gagne l’ultime épisode où rencontrer la paradoxale plasticité d’une réalisation redoutablement précise. Non négligeable est le plaisir de retrouver cette œuvre sans images vidéastiques, telle qu’en elle-même.

Le sacre du printemps de Stravinsky vient conclure la soirée.
Mais c’est un Sacre qui satisfait peu. Travaillée avec un louable souci du détail, l’exécution perd la vue d’ensemble. Principalement, c’est le manque de couleurs qui demeure le plus gênant. Sans dessin ni chant, le rite attendu ne survient pas. De plus, on constate certaines inexactitudes, peut-être fruits d’une déconcentration de l’orchestre (quelques pizz’ douteux, un décalage des vents, etc.), dans la première partie. Plus investi, le début de la seconde retrouve un peu de verve, mais au prix d’un lyrisme parfois bouffi qui s’écoute discourir. Pour finir, le chef, tombant dans le principal piège de la partition, scande un brouhaha indistinct. L’on ne manquera pas de s’inquiéter de ce qu’il faille bien constater, au souvenir des derniers Sacre entendus, que fort peu de chefs parviennent à transmettre cette page majeure de notre histoire musicale (en sont Salonen, Metzmacher, Gielen, Eötvös et Boulez, bien sûr).

Si, du jeune munichois Jörg Widmann, dont nous avions pu entendre Jagdquartett et Fieberphantasie [lire nos chroniques du 3 juillet 2005 et du 11 septembre 2006], nous découvrons aujourd’hui deux œuvres pour grand effectif, données en premières françaises.

Echo-Fragmente pour clarinette solo et groupes d’orchestre fut écrit l’an dernier et créé le 26 juin 2006 par Sylvain Cambreling et la présente formation à laquelle s’adjoignaient quelques musiciens du Freiburger Barockorchester ; le compositeur, par ailleurs excellent clarinettiste, tenait la partie soliste. C’est de la rencontre de ses deux orchestres où enseigne Widmann qu’est née la pièce, soit du mariage a priori improbable d’habitus d’accord différents, mais aussi de l’insolite mise en présence d’instruments éloignés dans le temps (hautbois baroque, flûte à bec, etc.). De ce matériel, Jörg Widmann détourne subtilement l’utilisation attendue, dans les modes d’attaques comme dans la couleur. De même invente-t-il à la clarinette une aura plus complexe où s’interpénètrent plusieurs plans, dans un artifice assez fascinant, dont un embryon de chanson souple se trouve savamment brouillé par les mystérieuses incises de l’accordéon. Des effets de relais dans les échanges plus chambristes, après une brève cadence solistique, mène à une pédale de cordes au fin tissus micro-intervallaire, une seule attaque forte rehaussant vingt minutes de demi-teintes extrêmement raffinées.

Avouant une inventivité volontiers ciselée par des oreilles toujours grandes ouvertes (vers Debussy ou Schumann, entre autres), c’est sous l’impulsion de Mozart (comme pour son Quintette donné au Louvre avant-hier) que Jörg Widmann livre Armonica pour orchestre avec glassharmonica, un opus créé le 27 janvier dernier par les Wiener Philharmoniker sous la battue de Pierre Boulez. Les doigts mouillés sur l’harmonica de verre introduisent la pièce dans une diaphanéité indicible, bientôt épaissie par l’accordéon, selon le procédé qu’utilisait déjà Echo-Fragmente. Le caractère particulier de la sonorité contamine peu à peu l’orchestre par les percussions à claviers, jusqu’à faire croire à une perception privilégiée de la densité particulière du verre. On goûte une nouvelle fois la délicate conduite de la couleur. Il apparaît évident que cette musique est écrite par un instrumentiste – en d’autres termes : par un compositeur pratiquant –, soit un homme toujours en contact avec le son, sa production, son équilibre, ses jeux, sa sensualité même.

BB