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Chroniques
Sylvia Vadimova et TM+
Brahms, Fénelon et Schönberg
La Maison de la musique accueille l'Ensemble TM+ dans un programme varié quant aux époques abordées, réunissant des œuvres pleines d'expression et de tension (reprises le 10 décembre prochain, au Théâtre de Vanves). Composés par Johannes Brahms en 1896, Quatre chants sérieux constitue son avant-dernier opus, l'ultime dédié à la voix après tant d'autres (Kinderlieder, Volkslieder, Lieberslieder, etc.). Dédiés au sculpteur Klinger, les textes sont empruntés à la Bible et traitent du rapport humain à la mort, de son refus à son acceptation. Brahms mourra l'année suivante (3 avril 1897).
Si le mezzo-soprano Sylvia Vadimova a besoin de chauffer sa voix sur Denn es gehet dem Menschen, comptine maléfique qui constitue le premier chant, on la sent plus à son aise dès le suivant. Alors que les graves sont parfois un peu légers, les aigus s’avèrent amples et plus faciles. La chanteuse jouit d'une voix ambrée et d'une prononciation efficace de l'allemand. Avec O tod, wie bitter bist du..., Lieder le plus dramatique du cycle, l'émotion est palpable, grâce à une réelle appropriation du texte. Il est rare de voir des artistes ainsi habités sans pour autant d’affectation. Le jeu du pianiste Dimitris Saroglou est nuancé sans excès, de même qu'il pose des silences sans appesantir le tempo.
Entre 1988 et 1990, Philippe Fénelon compose le cycle Mythologies dont est joué la quatrième partie, Ulysse, elle-même constituée de cinq mouvements portant un titre et de quatre intermèdes. « Le titre de chaque épisode est une indication éventuelle pour l'écoute, précise le compositeur. Il s'agit avant tout de créer la sensation musicale d'une attitude extérieure selon des données purement abstraites. L'équilibre qui s'opère entre image et abstraction est significatif : c'est la subtilité de lecture et d'écoute qui entraîne la narrativité, la mise en perspective de ces épisodes ». Si la construction de l'œuvre n'est pas à remettre en cause, l’on est moins réceptif à cette deuxième partie du programme. En revanche, retenons des excellents musiciens de ce quintette la virtuosité de la violoniste Noëmi Schindler et la délicatesse du corniste Éric du Faÿ.
Après l'entracte, ce dernier sera remplacé par le piano auprès de ses camarades pour Pierrot Lunaire, l'œuvre mythique d'Arnold Schönberg. S'inspirant autant du cabaret berlinois que de la revue parisienne, l'œuvre fut créé le 16 octobre 1912 par la chanteuse et commanditaire Albertine Zehme. Le cycle comprend vingt-et-une pièces, regroupées en trois fois sept mélodrames (d'où les différents éclairages utilisés ce soir), qui font la part belle au Sprechgesang, ce style parlé-chanté si caractéristique pour lequel il convient, selon l'expression du compositeur, d' « attaquer la note pour la quitter aussitôt ». Dans cette œuvre hybride qui tient du Lied, du mélodrame et du théâtre, Sylvia Vadimova continue d’impressionner. Autant comédienne que chanteuse, elle ébauche avec subtilité des rôles de gamine ou de poivrote, tantôt narquoise, tantôt hargneuse, mais dans un style swinguant qui mène à terme sans qu'on ait vu le temps passer. Saluons le savoir-faire de Gilles Burgos (flûte), de Francis Touchard (clarinettes) et de David Simpson (violoncelle), déjà présents dans Ulysse. L’interprétation est redevable de la direction précise et tendue de Laurent Cuniot grâce auquel cette soirée ne laisse pas de côté l'émotion.
LB