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Chroniques
Symphonie en fa majeur Op.68 n°6 « Pastorale » en sextuor
Quatuor Hermès, Léa Hennino et Aurélie Allexandre d’Albronn
Écouter renaître « ce divin rêve d’un jour d’été », comme Romain Rolland appelait la Sixième Symphonie (dite Pastorale) de son héros Beethoven, est une formidable expérience – ou plutôt deux ! Offert deux nuits durant en de très jolies églises du Lot (Les Récollets de Saint-Céré, puis Saint-Siméon de Gourdon), le rendez-vous de musique de chambre a rempli de bonheur les édifices grâce à une brillante formation. Nouvel invité de marque du Festival de Saint-Céré pour l’ouverture de sa quarante-deuxième édition, le Quatuor Hermès a d’abord grandi du côté de la capitale des Gaules, à la faveur d’études au CNSM de Lyon. Toujours jeunes et riches des leçons retenues en bord de Saône, ainsi que de tant d’expériences glanées sur des routes transcontinentales comme au disque [lire nos chroniques du 8 juillet 2012 et des 5 et 6 novembre 2016, ainsi que notre recension du CD Brahms], Omer Bouchez, Elise Liu (violons), Lou Yung-Hsin Chang (alto) et Yan Levionnois (violoncelle) n’aiment rien davantage que de redonner vie aux œuvres de géants. Ainsi la Pastorale donnée avec le renfort de l’altiste Léa Hennino ainsi que de la violoncelliste Aurélie Allexandre d’Albronn dans un arrangement pour sextuor à cordes de Michael Gotthard Fischer (1773-1829), contemporain de l’illustre Rhénan.
Dès le vivifiant Éveil initial, la finesse mélodique et la poigne rythmique indiquent combien Hermès, le Wanderer bonnois et la nuit d’été lotoise trouvent de suite beaucoup en commun dans l’œuvre délicieuse de cet habile ensemble revenu de tout dans un lieu simple, convivial et spirituel. À la reprise progressive du thème si connu, la qualité de l’allumage ne laisse aucun doute : ces arpèges brisés, la très remuante coda (au plus vibrant ressuscite Vivaldi !) sont autant de charges explosives qui fraient la voie de musiciens flibustiers, plutôt à la manière flamboyante du pirate français Jean Lafitte (possible contemporain exact de Beethoven, dans les hautes mers de la Durchführung) qu’à l’instar de l’explorateur Christophe Colomb – même si le quatuor Hermès revient tout juste de studio avec une grande découverte, levant enfin un voile sur la compositrice Charlotte Sohy (1887-1955).
Avec le même panache, la Scène au ruisseau embarque chacun dans un rêve profond, d’une dilatation soudaine superbe et surprenante, traversé de lyrisme – dans une alternance entre désir de nature et étirement du thème qui traduit l’élan amoureux qu’en filigrane se lirait sans l’ombre d’un doute la lettre à l’aimée (datée alors de 1807, pour conforter l’une des hypothèses proposées par Romain Rolland de ce document-clé dans la vie de Beethoven). Enfin, outre les évocateurs chants d’oiseaux, le long mouvement semble même s’achever en embrassant.
À la suite des quatre Hermès et de leurs amies, la joyeuse danse paysanne paraît moins infernale qu’allègre et inspirée. L’agitation et une incroyable décharge stratosphérique figurent au menu de l’orage consécutif, tandis qu’en retombent au final les plus gracieuses phrases, dans un bain céleste – fin en apothéose, au bord de la saturation.
Par une introduction très douce, presque discrète, par la magie savoureuse d’un violon au son enveloppant comme une couette, le début de concert nous a préalablement conduits au soir du romantisme, à travers l’ultime ouvrage lyrique de Richard Strauss, Capriccio [lire nos chroniques du 23 juillet 2022, des 1er février et 28 juin 2018, du 16 novembre 2014 et du 8 septembre 2012], dont le prélude en sextuor fait battre le cœur d’une fièvre soudaine lors du vertigineux scherzo, déversé en cascade, avant que se tisse l’écheveau symphonique de poésie sombre. Comme le ressac de vagues puissantes et secrètes, l’œuvre de Strauss pour le théâtre trouve sa belle issue, encore éprouvante, presque étouffante, mais elle demeure unique et bien vivante grâce aux vaillants interprètes du jour.
FC