Chroniques

par bertrand bolognesi

Symphonie en ut mineur n°2 de Gustav Mahler
Hanna-Elisabeth Müller, Karen Cargill, Chœur de Radio France

Cristian Măcelaru dirige l’Orchestre national de France
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 25 octobre 2024
Cristian Măcelaru joue la Deuxième de Mahler avec l’Orchestre national de France
© ben knabe

C’est à la vaste Symphonie en ut mineur n°2 de Gustav Mahler, écrite entre 1888 et 1893 puis créée sous la direction de son auteur, le 13 décembre 1895, à la tête des Berliner Philharmoniker in loco – après une première audition publique des trois premiers mouvements, neuf mois plus tôt –, que s’attèlent pour deux soirs les musiciens de l’Orchestre national de France (ONF), les artistes du Chœur de Radio France ainsi que deux solistes vocaux, le soprano allemand Hanna-Elisabeth Müller et le contralto écossais Karen Cargill. Au pupitre, Cristian Măcelaru, depuis quatre ans directeur musical de l’ONF [lire nos chroniques des 10 septembre et 14 octobre 2021, du 20 janvier 2022 et du 14 septembre 2023].

D’emblée très articulé, l’Allegro maestoso paraît cependant plus bousculé qu’autre chose, dans ce qui pourrait bien ressembler à une carence de conception d’ensemble, comme le souligne le rubato fort appuyé qui caractérise l’abord du second motif. S’il est assurément appréciable de pouvoir goûter certains éléments de détail qui trop souvent s’effacent au profit de lectures à gros traits, il demeure assez difficile de se frayer un chemin d’écoute dans la version du chef roumain. Tant dans la dynamique que dans les tempi, celle-ci se révèle vigoureusement contrastée, bénéficiant de cuivres musclés et de cordes vaillantes, dans une vivacité tour à tour élancée ou funeste. Vraisemblablement par un souci d’expressivité exacerbée, la baguette enjoint souvent les cordes à précariser leur impact, ce qui finit par rendre un effet à la fois décharné et nébuleux, voire presque sale, que la réalisation des pizz’ conclusifs ne vient guère contredire. L’Andante moderato fait l’objet d’un soin plus heureux, dont une souplesse un rien confite est l’atout principal. Altos et violoncelles affichent ici un lustre caressant dont Măcelaru use avec délectation. Voilà que l’affaire se gâte pourtant, à la reprise du thème en pizzicati trop aléatoires pour faire corps.

Son inflexion énergique signe une interprétation roborative d’Antonius von Padua Fischpredigt, autrement dit le scherzo In ruhig fließender Bewegung inspiré du Lied précité. Savamment coloré par les bois, le mouvement affirme également une fluidité inhabituelle qui ravit l’écoute, menant à un enthousiasme auroral de très belle allure. La subtile survenue d’O Röschen rot, dans une résonnance comme oubliée, dépose Urlicht comme un baume, magnifié par le chant infiniment nuancé et précis de Karen Cargill dont on retrouve l’indicible onctuosité de timbre [lire nos chroniques de Das Lied von der Erde, Tristan und Isolde et Dialogues des carmélites]. En diseuse indéniable, elle livre pas à pas le poème, jusqu’à la bienheureuse vie éternelle (« …Wird leuchten mir bis in das ewig selig Leben ! »).

Passé cet absolu moment de grâce, l’exécution n’ira plus jamais aussi haut, avouons-le. Avec sa surenchère de contrastes, arborant parfois une joliesse certaine, le Finale, d’une facture originelle déjà égaillée, s’avère cette fois proprement déconstruit. Qu’on ne s’y trompe pas : ce mouvement est sans doute l’un des plus redoutables du corpus mahlérien, puisqu’il nécessite un égard particulier à chaque localité que traverse son chemin, pour ainsi dire, mais aussi d’y soutenir un grand souffle qui jamais n’en perde de vue l’issue. Et c’est précisément l’écueil dans lequel choit le concert : la maille est assez belle mais rien n’en naît. L’entrée suprêmement douce du chœur de la Résurrection n’en est pas moins un moment béni de cette soirée, remarquablement servi par les voix du Chœur de Radio France dument préparées par l’excellent Lionel Sow. L’effet est malencontreusement gâché par Hanna-Elisabeth Müller dont quelque méforme surligne une acidité de timbre que nous ne lui connaissions pas [lire nos chroniques du Rheingold, de Capriccio, Arabella et Szenen aus Goethes Faust], mais surtout une intonation suffisamment approximative pour rider les tympans. Malgré ce moelleux généreux de la voix de Karen Cargill venu cautériser la blessure, nous ne garderons pas un grand souvenir de cette Deuxième.

BB