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Chroniques
Tabu, a story of the South Seas
film de Friedrich Wilhelm Murnau – musique de Christine Ott
Plus connu sous le patronyme de Murnau, Friedrich Wilhelm Plumpe (1888-1931) étudie tout d’abord la philologie et l’histoire de l’art avant de se consacrer au théâtre puis à la réalisation de films. Une quinzaine d’années va lui suffire pour devenir l’un des maîtres de l’expressionnisme allemand et marquer l’histoire du cinéma avec des créations entre réalisme et fantastique, dont des chefs-d’œuvre souvent visibles en ciné-concert : Nosferatu (1922) [lire nos chroniques du 8 juillet 2011 et du 23 septembre 2010] et L’aurore (Sunrise, 1927), point de départ de la période américaine courte et mouvementée, qui ouvrira prochainement la nouvelle édition du festival ManiFeste, accompagné d’une musique d’Helmut Oehring.
Faisant suite à Les quatre diables (Four devils, 1926) et L'Intruse (City girl, 1930), Tabou (Tabu, 1931) raconte les mésaventures du pêcheur de perles Matahi et de la jeune Reri, dans l’île de Bora-Bora (Polynésie française). En effet, l’amour qui les unit est bouleversé par une annonce terrible : Reri vient d’être choisie par le sorcier Hitu pour incarner une divinité, en vertu de quoi elle est déclarée tabou, c’est-à-dire intouchable pour tout homme. Incapable de se résigner à la perdre, Matahi l’enlève et commence avec elle une vie faite de fuite, d’endettement et de deuil – d’où un découpage en deux parties de ce film d’esprit symboliste (Le Paradis – Le Paradis perdu).
Le scénario d’Edgar Georg Ulmer se fonde sur une idée originale de Robert Flaherty (1884-1951), l’un des pères du film documentaire devenu célèbre pour ces pêcheurs inuits ou irlandais mis en scène dans Nanouk l'Esquimau (Nanook of the North, 1922) [lire notre chronique du 8 décembre 2006] et L’homme d’Aran (Man of Aran, 1934), ici vite évincé d’un projet dont il ne réalise que quelques plans. Au final, le succès public de Tabu vient de la dramatisation d’une histoire tournée sur les lieux mêmes de l’action avec les autochtones jouant leur propre rôle, où triomphent les forces obscures, à des lieues de l’optimisme cosmique de Flaherty.
On n’en finit pas d’admirer la beauté formelle du long-métrage mais aussi ses petits ressorts narratifs qui captivent peu à peu le spectateur : le demi-tour de Matahi lui fait manquer la proclamation du tabou, un sursaut imprévu l’amène à danser une dernière fois avec la femme qu’on lui interdit, la corruption réussie d’un officier, le rêve de la perle qui nous ramène au rêve d’émeraude cachée du Cavalier bleu (Der Knabe in Blau, 1919), le tout premier Murnau, etc. On peut aussi apprécier la légende qui entoure le film puisque le réalisateur, décédé d’un accident d’automobile peu avant la sortie alors qu’il avait survécu à plus d’un crash comme aviateur durant la Première Guerre, aurait transgressé des interdits locaux.
Ondiste réputée, Christine Ott a multiplié les collaborations avec le cinéma (Jeunet, Gatlif, Denis, etc.). Pour Tabu, après une série d’improvisations, elle a retenu des Leitmotive minimalistes (la mer, l’amour, le sorcier, etc.) qu’elle joue sur scène au piano et aux Ondes Martenot, parfois sur bande (un son de cithare, par exemple, obtenu grâce aux vibrations des cordes métalliques). Contemporaine du long métrage, l’invention de Martenot (1928) est idéale pour appuyer le mystère angoissant de certains épisodes, tels ceux du requin défendant les fonds sacrés ou de l’ultime poursuite dont dépend le sort des amants. Enfin, la petite percussion est utilisée pour mettre en relief un cérémonial (triangle, guïro, chapelet de coquillages, etc.).
Prochain rendez-vous du même genre au Balzac : Aelita (1924), film de Yakov Protazanov, non plus cette fois avec la musique orchestrale de Dmitri Kourliandski [lire notre chronique du 8 octobre 2010], mais accompagné par celle du batteur Aidje Tafial entouré de quelques invités (jeudi 19 juin, 19h30).
LB