Chroniques

par laurent bergnach

Tan Dun dirige l’Orchestre national de France
œuvres de Debussy et Tan

Théâtre du Châtelet, Paris
- 10 mai 2012
Tan Dun dirige l’Orchestre national de France
© dr

Installé aux États-Unis depuis 1986, Tan Dun n’en finit pas de tisser des liens entre Orient et Occident, tradition et modernité, concert intimiste et événement populaire. Ces dernières années, le natif de Changsha (province de Hunan, Chine) fut occupé à la création de Paper Concerto (2003) lors de l’ouverture du Walt Disney Hall, à la composition d’une musique pour la cérémonie des Jeux Olympiques de Pékin (2008) ou encore à répondre à une commande de Google et YouTube, avec Internet Symphony (2009). Le concert de ce soir, réunissant les membres de l’Orchestre national de France dans ce même théâtre qui accueillait récemment Nixon in China [lire notre chronique du 18 avril 2012], est l’occasion de mieux connaître le chef et compositeur dont Idéale Audience International livrait un double portrait opportun en 2007 [lire notre critique du DVD].

C’est Debussy qui ouvre chaque partie du programme.
Si l’Histoire connaît bien Paul Wittgenstein et ses commandes pour la main gauche, elle a vite oublié Elisa Hall à qui son médecin avait recommandé la pratique du saxophone pour améliorer son ouïe déclinante… En 1903, le Français est un des compositeurs contactés pour accroître le propre répertoire de la riche Bostonienne, mais c’est inachevée qu’il livre sa Rhapsodie pour saxophone alto et orchestre, en 1911 – la création posthume, le 14 mai 1919, Salle Gaveau (Paris), devant tout au disciple préféré de Fauré, Jean-Roger Ducasse, ici arrangeur et orchestrateur. À l’instar du chef empreint de calme et de clarté, aux tutti sonores sans être contrastés à outrance, Fabrice Moretti livre avec moelleux sa partie soliste, même lorsqu’il faut faire preuve d’expressivité.

En 1913, opposant la musique apprise « aussi simplement qu’on apprend à respirer » à celle « qui sent la table et la pantoufle », l’auteur de Monsieur Croche se montre admiratif d’une certaine simplicité orientale : « une petite clarinette rageuse conduit l’émotion ; un Tam-Tam organise la terreur… et c’est tout ! ». Debussy connaît bien le premier instrument évoqué puisqu’en 1909, contraint d’écrire une pièce pour un concours du Conservatoire de Paris auquel il appartient désormais, il débute l’écriture de la Première rhapsodie pour clarinette, laquelle sera créée dans sa version avec orchestre le 3 mai 1919. Là encore, Tan Dun séduit par une grande délicatesse d’ensemble (violons parfois juste effleurés), en harmonie avec Patrick Messina, au jeu souple et rond.

Créé le 13 mai 1995 à Helsinki, Intercourse of fire and water s’inspire du Yi-King ou Livre des transformations, dont on connaît déjà l’influence sur Cage. Élaboré plusieurs siècle avant J.C., ce texte fertile (ésotérisme, philosophie, morale, etc.) nourri l’idée d’un lien entre ce qui est déjà et ce qui n’est pas encore. Tan applique cette pensée à son art, élargissant dès lors le concept de contrepoint qui « peut inclure non seulement la relation entre les notes, mais aussi entre les styles, les tempos, les timbres […] ». Premier d’un cycle qui reviendra toujours à la partie d’orchestre originelle (ce qui existe déjà), le présent concerto est dédié au violoncelliste Anssi Karttunen que nous retrouvons avec plaisir. On apprécie son geste sûr au son cristallin, en particulier dans le solo ménagé à mi-course de cette demi-heure, lequel témoigne de racines asiatiques.

Créée le 27 mars 1993 à Glasgow, Death and fire (dialogue with Paul Klee) trouve son origine dans les affinités entre le travail du Suisse (la ligne au service du sentiment universel) et la pensée chinoise, suite à une exposition new yorkaise visitée par Tan. Comme avant l’entracte, on sent toute la force du métissage artistique porté par l’auteur de Four secret roads of Marco Polo (2004) puisque la forme de la symphonie, enchaînant différentes sections, surprend souvent. Ici, les cordes sont essentielles (contrebasses initiales, rebonds aux violons en duo avec des violoncelles alla chitarra, bourdonnement de ces derniers lors d’un quasi final, etc.), saupoudrées de touches percussives (sifflet, pierres). Au cœur de cette œuvre, notons la levée progressive de musiciens grommelant, invités à brandir leur instrument à bout de bras.

LB