Chroniques

par irma foletti

Tancredi, opéra de Gioachino Rossini (concert)
Orchestre de l’Opéra de Marseille, Giuliano Carella

Daniela Barcellona, Annick Massis, Yijie Shi, Victoria Iarovaïa
Opéra de Marseille
- 24 octobre 2017
Giuliano Carella joue Tancredi (1813) de Rossini, en version de concert
© christian dresse

Comme la saison dernière avec Anna Bolena et Maria Stuarda [lire notre chronique du 30 octobre 2016], l’Opéra de Marseille propose cet automne une séquence de deux opéras du répertoire bel canto, donnés en version de concert. Après un autre titre de Donizetti, La favorite programmée quelques jours auparavant, c’est au tour de Tancredi de Rossini, dans sa version originale de Venise (1813) avec finale lieto.

Sur le papier, la distribution est particulièrement alléchante, avec de très grands noms pour les rôles principaux. Mais hélas, une annonce est faite avant le concert pour Annick Massis (Amenaïde), « souffrante, mais qui tient à assurer la représentation ». La chanteuse, souvent sujette à un trac envahissant, commence de manière très tendue, un souffle et des respirations qui trahissent la nervosité. Le soprano n’est en effet pas en pleine possession de ses moyens, le volume est réduit, certaines notes sont très fragiles et quelques graves véritablement enlaidis. Mais le métier, l’intelligence, voire une certaine intuition ou l'instinct musical lui permettent de venir à bout de sa partie, sans craquage ni dégâts majeurs. Très précautionneuse par moments, elle délivre plusieurs beaux passages d’agilité, avec d’ailleurs un timbre d’une réelle fraîcheur, mais paraît presque s’effacer à d’autres instants, le nez dans la partition, comme lors du finale de l’Acte I où les aigus sont loin de dominer les débats.

À ses côtés, la pleine santé de Daniela Barcellona dans le rôle-titre n’en est que plus éclatante. Succédant à la triplette magique Marylin Horne / Lucia Valentini-Terrani / Ewa Podles des années quatre-vingt, Barcellona est sans nul doute l’une des plus grandes, voire la plus grande titulaire de Tancredi, ceci depuis sa prise de rôle en 1999 au Rossini Opera Festival de Pesaro. Même si son répertoire a évolué vers des emplois plus lourds ces dernières années (Eboli, Amneris, Dalila ou Santuzza), le bagage technique rossinien est toujours présent, comme son agilité ou sa capacité à alléger certaines phrases. La qualité des récitatifs est également superlative, avec quelques graves masculins dignes de ses illustres devancières, mais toujours à propos et sans outrage.

Le ténor Yijie Shi (Argirio) est une autre valeur sûre dans ce répertoire.
Découvert aussi par le festival italien déjà nommé (il y a débuté dans son premier grand rôle en 1999, en Comte Ory), le chanteur chinois est particulièrement habitué à Rossini – il était par exemple distribué avec Barcellona dans Tancredi à Valencia en juin dernier. La voix s’est considérablement élargie depuis ses débuts, avec aujourd’hui des graves superbement exprimés, des aigus claironnants, tout en ayant conservé la souplesse de l’instrument. Quelques variations sur les reprises sont bienvenues et il fait preuve d’un splendide abattage, même si le chant manque peut-être de contraste dans les nuances, situé invariablement dans le forte.

La basse Patrick Bolleire ne convainc que partiellement dans le rôle beaucoup moins développé d’Orbazzano : la voix est d’un joli grain et projette vigoureusement, mais l’italianità des récitatifs reste perfectible. Le mezzo Victoria Iarovaïa (Isaura) n’appelle en revanche aucune réserve, offrant timbre somptueux, virtuosité impressionnante sur les fioriture, trilles sous maîtrise complète, clarté de l’articulation et qualité vocale homogène sur toute l’étendue. Ahlima Mhamdi (Roggiero), l’autre mezzo, fait aussi entendre un beau son, mais la stabilité est moins assurée par moments.

Ancien directeur musical de l’Opéra de Toulon, le chef Giuliano Carella connait par cœur son Rossini. La musique est alerte, vive et vivante, mais ne tombe pas dans la facilité, ni le pompier. Il fait alléger, par exemple, quelques interventions des percussions, et ménage un confortable espace sonore pour les soli des bois, tout en gardant le sérieux de la coordination générale. Les instrumentistes se montrent suffisamment virtuoses, mis à part de brefs instants plus faibles, comme cette attaque un peu désordonnée des cordes dans le duo Tancredi/Amenaìde du premier acte. Les chœurs masculins de l’Opéra de Marseille sont, quant à eux, bien préparés par Emmanuel Trenque, et répondent avec cohésion aux sollicitations de la dynamique. Ovation générale à l’issue du concert, avec Annick Massis qui hoche la tête en paraissant désolée de ne pas avoir pu faire mieux.

IF