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Chroniques
Tannhäuser
opéra de Richard Wagner
La septième édition du Festival Wagner de Budapest s’ouvre avec cette première de Tannhäuser, ouvrage qui comptera deux représentations (3 et 19 juin) sertissant un Ring complet (les 12, 13, 15 et 17). C’est au metteur en scène allemand Matthias Oldag qu’on a confié cette nouvelle production, homme de théâtre également tourné vers la danse qui, lors de ses premiers pas dans le domaine lyrique (il y a une vingtaine d’années, à Dresde), s’attelait à Eight songs for a mad King de Peter Mawxell Davies – c’est dire si nous avons affaire à un artiste attaché à la tradition... Alors qu’il voyage volontiers d’ouvrages et de compositeurs assez rares (Vanessa de Barber, Die tote Stadt de Korngold, Leonce und Lena de Christian F.P. Kram, Faust de Spohr, Die weisse Rose de Zimmermann, etc.) – parmi lesquels fait événement sa résurrection (à Gera, en 2009) de Valdštejn de Jaromír Weinberger (1937) –, à ce qu’on appelle le « grand répertoire » (Beethoven, Mozart, Puccini, Strauss, etc.), il semble que Matthias Oldag signe ici son premier Wagner.
Encore s’est-il ingénié à une approche stylisée qui transforme les contraintes du lieu en avantages. Le haut de scène figure un sous-bois noir-et-blanc, sans qu’il soit jamais cherché d’en masquer la « choséité » photographique, qu’habiteront diverses variations de lumières au fil du spectacle. Le Venusberg est sobrement symbolisé par une sorte de cube aux parois à peine voilées où, durant l’Ouverture, sont projetées des évocations sensuelles. De fait, la pertinence de cette mise en scène réside principalement dans un minimalisme assumé qui prend acte y compris dans la direction d’acteurs. En cela, la réalisation du début de l’épisode médian est une parfaite réussite qui épouse idéalement la relative simplicité de la partition elle-même à ce moment-là. Le choix de révéler avant tout l’humanité de Tannhäuser, éternel insatisfait, dans ce qu’elle pourrait vivre de plus contemporain, induit jusqu’au regard porté par lui-même sur lui-même à travers la toile déformante du plaisir, qu’on l’appelle Venusberg ou héroïne.
Voilà qui conduit immanquablement à s’interroger sur le caractère des concours poétiques qu’il retrouve, ici montrés comme miroir auto-complaisant qui d’ailleurs utilise le decorum (dans le premier sens du terme) de la salle de concert (et les éléments en sont précisément reconnaissables comme ceux du MUPA) – cette snob assemblée qui s’indigne, condamne les jouissances de l’autre en se gardant bien de jauger les siennes, prend les atours du public, celui d’aujourd’hui comme celui d’hier, forcément choqué de ce qu’on ne lui serve pas toujours ce « convenable » qu’il attend.
Défendable, cette option corrompt cependant le personnage du Landgraf Hermann von Thüringen dont elle fait une sorte de « brute bien léchée » qui jette en pâture la virginité de sa nièce là où la musique elle-même infléchit un amour « paternel » autrement probant. Et parce qu’il n’est plus rien qui donne encore à jouir à Tannhäuser, pas même la culpabilité ou le repentir, c’est tout naturellement qu’il échoue de Rome au cimetière, troisième acte halluciné de tombeaux où la sainte de la forêt sacrée, plutôt que de le sauver de la montagne maudite vers laquelle il court en imagination, lui donne un visage – « donne-moi un visage humain et mon âme sera guérie », clame le marcheur de Handke (in Die morawische Nacht) – avant que de l’abandonner à son overdose.
À l’initiative de la manifestation, Ádám Fischer en dirige toute les soirées, comme ce Tristan und Isolde que nous avions apprécié il y a deux ans [lire notre chronique du 1er juin 2010]. Dès les premières mesures, il impose une lecture à la solennité contenue, jamais pontifiante, qui avance dans le drame en toute clarté plutôt qu’à grand renfort d’effets. C’est qu’il s’agit de donner naissance à un mystère plutôt qu’à une « représentation » – entendre par là qu’on n’y évoque pas le divin puisqu’il y est. Avec le plus grand soin, le chef mène posément mais sûrement ses troupes – Chœur de l’Opéra national hongrois (Magyar Állami Operaház Énekkara), Orchestre Symphonique et Chœur de la Radio Hongroise (Magyar Rádió Szimfonikus Zenekara és Énekkara), ainsi qu’une dizaine de voix solistes.
Il n’est pas si facile de réunir une distribution satisfaisante.
Sur ce point, l’expérience de ce jour s’avère également passionnante. L’on y entend Tamás Szüle en ferme Biterolf, le jeune Tivadar Kiss en Henrik, ténor d’une saine clarté qui donne envie de le découvrir dans un rôle plus étoffé, et Tibor Szappanos en Walter plus corsé. Et c’est avant tout le quintette dominant qui laisse pantois, quand bien même l’acoustique particulière du MUPA (Művészetek Palotája) s’avère flatteuse pour les voix. À commencer par le rôle-titre, tenu par un Robert Dean Smith considérablement plus engagé qu’à son habitude et qui affiche une forme qu’on lui connaît rarement. À la fulgurance de l’aigu, à l’extrême tenue de la ligne de chant répond un investissement dramatique digne d’éloge. Lui fait face une Elisabeth à la troublante sérénité : Tünde Szabóki habite le personnage d’une voix large qu’elle déploie avec une générosité qu’on dirait enfantine, idéale dans la situation initiale (elle sera Freia dans Rheingold, Gerhilde dans Walküre et la troisième Norne dans Götterdämmerung, la semaine prochaine).
On trouve en la basse formidablement impactée de Gábor Bretz un Hermann d’exception (qui tout prochainement « grognera » génialement son Fasolt). De même saluerons-nous Lauri Vasar pour la vocalité subtilement nuancée et les aigus lumineux qu’il offre à Wolfram, attachant ancêtre d’Hans Sachs dans le sacrifice qu’il consent de l’amour comme dans l’accompagnement dévoué de l’ami. Enfin, l’ample velours enveloppant du mezzo-soprano russe Elena Zhidkova campe une Venus immense dont l’enjôleuse douceur s’éloigne des stéréotypes. Assurément, après sa Kundry lyonnaise [lire notre chronique du 23 mars 2012], elle s’affirme résolument wagnérienne.
Prenez date : le Budapesti Wagner-Napok 2013, celui du bicentenaire, annonce Die Meistersinger von Nürnberg – logique…
BB