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Chroniques
Tannhäuser
opéra de Richard Wagner
N’est déçu que celui qui attend quelque chose, quand bien même il ne saurait quoi ; quelque chose. Ni peu ni beaucoup ; quelque chose. N’espérer rien serait peut-être se prémunir contre la déception. Mais si le spectateur se met à ne rien espérer, les salles bientôt pourraient être vides. La solution n’est donc pas dans cette liberté-là, assurément. Il y a deux printemps, encore n’attendions-nous rien de Christian Rizzo en allant voir ses Erwartung, Pierrot lunaire et Voix humaine à Toulouse [lire notre chronique du 19 mars 2010]. Bonne fut la surprise ; la première du Tannhäuser que lui a commandé le Capitole fait partie des mauvaises.
Très souvent nous rappelons être persuadés de ce qu’il y a d’intelligible à confier la mise en scène d’un opéra à des chorégraphes ; nous nous sommes volontiers exprimés sur cette question. La sensibilité est grande, « naturel » le sens de la partition, et de nombreux écueils s’en trouvent évités grâce à la confrontation des domaines de compétence. Ainsi nous fut-il donné de saluer dernièrement le travail de Marco Santi pour l’Alcina de Lausanne [lire notre chronique du 24 février 2012], mais encore, quoiqu’avec quelques réserves, celui de Laura Scozzi pour Les Indes galantes ici-même [lire notre chronique du 4 mai 2012].
Sans doute soucieux de ne pas se laisser cueillir là où le public aurait pu le faire, Christian Rizzo embarque d’emblée une bacchanale qui ne danse pas. Ce contre-pied présente l’avantage de ne pas sombrer dans les poncifs du genre. Si elle ne danse pas, que fait-elle ? Elle déambule vaguement, marche à plusieurs en échangeant le poids des uns et des autres, comme un exercice dûment dépassionné. Que le sujet ne soit pas traité n’est pas gênant en soi… si ce n’est qu’il rend soudain douteuse la présence de danseurs sur scène, employés à ce qui ressemble, du coup, à une mise en bouche demeurant un exergue injustifiable, même si les corps, pour finir, accompagneront le retour de la déesse.
La curieuse néantisation qui s’ensuit trouve un appui idéal sur la direction indigente d’Harmut Haenchen ; aussi ne choque-t-elle pas, sur l’énonciation laborieuse de la partition. C’est un Tannhäuser « administré » plus que joué que nous entendrons aujourd’hui, ânonnant ses motifs, dessinant à gros traits ses élans, tricotant ses portées comme un consciencieux Beckmesser. Dès lors, comment croire aux sensualités débridées qu’évoque le héros lors du concours de l’Acte II ? Comment considérer, d’ailleurs, un tel héros qui, à s’agiter seul au nom du plaisir amoureux, paraît s’être illusionné de phantasmes puissants au point de génialement contrebalancer l’omniprésente frigidité de la représentation ? La réponse pourrait être dans la voix, allons…
Ainsi retrouvons-nous avec grand plaisir Peter Seiffert qui déploie plus que jamais des richesses de timbres au service d’une expressivité toujours parfaitement musicale. Son Tannhäuser fait autorité [lire notre chronique du 28 juillet 2010], portant haut la contradiction de son humaine (…rien qu’humaine) condition. Si, à goûter une vaillance offerte sans compter dans le premier acte, on s’inquiétait pour la suite, encore est-ce avec un art subtil de la nuance, qui phrase comme il respire, que le ténor mène sa partie à bon port.
Les poètes ne sont pas en reste : Maxim Paster ménage une ligne de chant fort soignée à son Walther, Paul Kaufmann donne un Heinrich irréprochable, de même le Reinmar de Richard Wiegold. Bien venue également la fermeté d’Andreas Bauer qui campe un Biterolf plus ardent que d’accoutumée. Lucas Meachem, le Billy de Britten dans la récente reprise de Billy Budd par Francesca Zambello [lire notre entretien avec le baryton étatsunien et notre chronique du 24 avril 2010], livre un Wolfram présent et tendre au chant cependant un rien monolithique. Enfin, Christof Fischesser est idéal en Hermann qu’il sert d’une ligne infiniment raffinée, d’un grain vocal charismatique, d’un sens dramatique aigu.
Quant à elles, les dames éveillent la perplexité.
Si l’on reconnaîtra en Anna Schoeck un Pâtre attachant et de grande tenue, Venus ne convainc pas, engoncée dans une projection vocale un rien forcée, une émission comme soudée au muscle qui proscrit irrémédiablement toute volonté de couleur comme de théâtre. Il est à supposer qu’à posséder des graves indéniables, le soprano de Jeanne-Michèle Charbonnet n’a pas la souplesse de quelques illustres consœurs qui voyagent avantageusement dans le registre de mezzo. Isolde appréciée, la voilà contrainte de durcir la phonation pour tenir un rôle que, ce faisant, elle dresse comme une discipline sans charme aucun. Petra Maria Schnitzer est plus adroitement distribuée en Elizabeth, bien que sa prestation accuse un bas-médium assez faible ; cela dit, l’aigu illumine, comme il se doit.
À déplorer l’inconsistance de la mise en scène, on en omettrait les complicités à y contribuer. C’est qu’elles se laissent oublier : les costumes de Michaela Bürger semblent s’ingénier à des extravagances qui font des choristes – efficacement préparés par Alfonso Caiani – un banc de jubartes endimanchées aux faluches mises en plis, quand les décors de Frédéric Casanova scellent la production dans le plus conventionnel des carcans.
Oublions.
BB