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Chroniques
Tannhäuser
opéra de Richard Wagner
« Je dois encore au monde Tannhäuser ». Attribuée à Wagner un mois avant sa mort, cette phrase peut désormais être utilisée par le metteur en scène Burkhard C. Kosminski. Après le bidon de recyclage d’excréments en fond de scène de Baumgarten à Bayreuth [lire notre chronique du 13 août 2011] ou le redondant salon empire à l’Opéra national du Rhin de Strasbourg [lire notre chronique du 30 mars 2013], la nouvelle production de Düsseldorf, l’autre opéra du Rhin, utilise la transposition de la période nazie.
Réalisant sa première mise en scène d’opéra, Kosminski, longtemps Schauspieldirektor au National Theater de Mannheim, et assisté ici de Florian Etti, semble faire deux erreurs de débutant. La première est que l’on n’est pas à l’opéra comme au théâtre : le spectateur vient avant tout pour la musique, l’histoire n’intervenant qu’au second plan. La seconde est d’associer Wagner au nazisme, alors qu’il est mort en 1883 – trois ans avant la naissance d’Hitler – et que le seul de ses ouvrages à peut-être approcher une idéologie totalitaire est Rienzi, pour lequel cette transposition serait plausible – rappelons que seul Die Meistersinger von Nürnberg fut à l’affiche du Bayreuther Festspiele en 1943 et 1944, les autres étant interdits ou très limités par la propagande.
La transposition – ou provocation – de B.C. Kominski du péché de chair originel de Tannhäuser vers celui d’extermination de masse des Juifs commence dès l’Ouverture lorsque trente figurants nus dans des cubes transparents meurent les uns après les autres à mesure que le gaz se répand. Devant un public encore calme mais tendu, la musique s’arrête pour laisser place au scandale : est amené un couple et son enfant – la superbe Svenja Lehmann qui chantera subliment le rôle du jeune pâtre –, ils se déshabillent et sont rasés avant d’être exécutés à bout portant devant un Tannhäuser impassible. La scène sert de défouloir, à l’instar du twist de Neil Sedaka en pleine Médée de Cherubini dans la lecture de Warlikowski [lire notre chronique du 16 décembre 2012], mais malgré les huées et le départ d’une dizaine de spectateurs (d’autres partiront au premier entracte), les acteurs restent imperturbables jusqu’à la reprise de l’orchestre.
Fidèle à sa thématique, la mise en scène justifie et associe les idées autour d’un Tannhäuser Nazi, ressortant dans un monde symbolisé par un aigle germanique mono-céphale républicain, alors que le Venusberg – « tout près de l’Enfer » (Baudelaire) – l’est par un aigle Nazi aux ailes rigides. L’Acte III mêle une moitié de chaque oiseau impérial dans une croix catholique construite avec les chambres à gaz du I. Malheureusement, les barbaries du Venusberg épuisent toute possibilité de rendre aussi puissant le monde festif des années trente du retour au « monde réel », et l’Acte II souffre vite d’un manque d’idée, le pire étant le concours de chant où les prétendants gloussent et roucoulent pour s’échauffer la voix devant une Elisabeth mijaurée qui forniquait quelques minutes auparavant ; cet ajout de voix anéantit l’idée que le metteur en scène aurait parfaitement intégré et compris le drame musical de Wagner.
Dommage que le spectacle soit si perturbé et perturbant, car le reste est d’un très bon niveau. Le traitement des lumières (Volker Weinhart) est magnifique et prouve que l’on peut largement retrouver les ambiances recherchées dans les créations des années cinquante [lire notre chronique du 20 avril 2013]. Ayant choisi la version initiale de 1845 (Dresde) qui occulte tout le ballet après l’Ouverture et de nombreux passages composés à une époque où la technique de Wagner avait beaucoup évolué – il avait déjà écrit Tristan und Isolde –, Axel Kober dirige les Düsseldorfer Sinfoniker d’une battue fort dynamique qui ne laisse aucun temps mort ni baisse de tension. D’une chaleur et d’une densité très « allemandes », les pupitres suivent le chef et se montrent à l’aise dans Wagner. Seules quelques erreurs de mises en place après l’Ouverture sont à regretter, mais nous sommes un soir de première et beaucoup des musiciens semblent déroutés par la partition raccourcie originale. Le chœur des femmes commence également en coulisse avec quelques problèmes de mise en place, mais il finira par se montrer supérieur à celui des hommes, pourtant bon (Chor der Deutschen Oper am Rhein, dirigé par Gerhard Michalski).
Parmi les voix, nous avions déjà admiré la Venus d’Elena Zhidkova [lire notre chronique du 3 juin 2012] : elle donne au personnage une certaine finesse (malgré la tenue SS) et chante d’une voix ample et claire, bien que quelques notes soient non tenues. L’Elisabeth d’Elisabet Strid est une agréable surprise, mais elle fatigue vite et a du mal à tenir tout le deuxième acte. Son rôle est en plus compliqué par la mise en scène qui ne sait que faire du personnage. Le Tannhäuser du Suédois Daniel Frank s’avère de haut niveau. Quoique utilisant à outrance le vibrato et chevrotant certaines phrases, il tient aisément jusqu’à la fin et réussit parfaitement ses grands airs. Son timbre séduit et colle parfaitement au héros. Légère déception, en revanche, quant au Wolfram de Markus Eiche pour qui incarnation et graves sont au rendez-vous, mais dont la voix manque d’ampleur et de poésie ; les apparitions quasi parfaites de Christian Gerhaher ces cinq dernières années nous aurons déformés l’écoute [lire notre chronique du 28 juillet 2010]… De même les seconds rôles se révèlent-ils corrects sans plus, avec une mention pour le Landgraf très bien tenu de Thorsten Grümbel.
La grande qualité musicale prouve l’intérêt d’aller écouter des productions outre-Rhin, mais ce Tannhäuser laisse un goût amer et nous imaginons difficilement son entrée sereine au répertoire pendant plusieurs années, comme c’est prévu en Allemagne. Il aura au moins eu un avantage : celui de préparer Axel Kober, dont la prestation est largement applaudie, aux huées et aux cris qui ne manqueront pas d’accueillir la reprise de la production Baumgarten, cet été à Bayreuth !
VG