Chroniques

par monique parmentier

Te Deum
Charpentier et Lully

Festival de Saint-Denis / Basilique
- 7 juin 2011
Vincent Dumestre à la Basilique Saint Denis
© dr

Composés à la gloire du Roi Soleil, les Te Deum de Charpentier et Lully inaugurent la nouvelle édition du Festival de Saint-Denis dont la thématique est Le souffle de l’histoire. Au vu de la magnifique distribution réunie ce soir, certains peuvent regretter que la commande du festival ait porté sur des œuvres aussi convenues. Mais Vincent Dumestre doit être alchimiste, tant tout ce qu’il touche devient de l’or. Ainsi révèle-t-il les couleurs inattendues, nobles et célestes qui s’en étaient estompées au fil des interprétations académiques qui, depuis leur redécouverte, n’en soulignaient que la pompe lourde et courtisane.

Abréviation d’une expression latine, signifiant « Dieu nous te louons », le Te Deum est une prière qui se chante depuis des lustres pour célébrer de grands événements. Le XVIIe siècle s’en est emparé ; sous le règne de Louis XIV il en existe de très nombreux exemples dont les deux plus connus sont peut-être ceux de Marc-Antoine Charpentier et de Jean-Baptiste Lully.

Le concert débute par le Te Deum H146 de Charpentier, composé en 1692 pour célébrer une victoire royale. Il doit sa gloire actuelle au fait d’avoir été utilisé près d’un demi-siècle durant comme indicatif de l’Eurovision. La gageure était de nous le faire oublier. Les trompettes brillantes et les timbales glorieuses résonnent avec magnificence dès les premières mesures. Les duos, trios et quatuors des cinq solistes et leurs dialogues avec le chœur Les Cris de Paris et les instrumentistes jamais n’ont semblé aussi délicats et, par instants, évanescents. Dans le récit Te ergo quaesumus, Amel Brahim-Djelloul au timbre enchanteur, accompagnée par des flûtes et un basson d’une douceur séraphique, illumine les mots et le chemin de la rédemption. Le timbre plutôt clair du baryton Geoffroy Buffière apporte beaucoup de noblesse et de sérénité aux parties graves, comme le Judex crederis. Dans le Fiat Misericordia tua, sa rencontre avec le violon irradiant de Mira Glodeanu et les voix de dessus est un instant de grâce.

Dans ses interventions, Les Cris de Paris, merveilleusement préparé par son chef Geoffroy Jourdain, fait preuve non seulement d’une grande homogénéité mais plus encore d’une maîtrise du mot, vécu comme un souffle de vie, soignant le phrasé – ce latin francisé qui affirme sa différence – pour mieux souligner les contrastes. Tous les pupitres sont splendides, et dans la fugue finale, portée par une vague de bonheur, ils libèrent une énergie galvanisante.

C’est en fait dans le Te Deum de Lully que tous les interprètes, emportés par une ivresse baroque, donnent le meilleur d’eux-mêmes. Composée pour la naissance du fils du compositeur dont Louis XIV fut le parrain en 1677, l’œuvre fut tant aimée du souverain qu’elle fut redonnée un nombre incalculable de fois par la suite. Si aujourd’hui, ce Te Deum est encore un tant soit peu connu, c’est peut-être parce que – ironie de l’histoire – Lully, devant l’interpréter pour célébrer la guérison du Roi en 1687, se blessa durant les répétitions, provoquant une gangrène qui le tuera.

Dans cette œuvre composée pour de grands effectifs, pouvait-on soupçonner de tels instants de délicatesse et de sensualité ? Soignant les articulations, Vincent Dumestre en retrouve le discours lyrique. Ce sentiment d’éternelle jeunesse, que déjà il sut déceler dans Le bourgeois gentilhomme et Cadmus et Hermione [lire notre chronique du 17 décembre 2010] et qu’il retrouve dans ce motet si glorieux, ne peut que nous toucher.

Les couleurs somptueuses du Poème Harmonique offre une variété de nuances à couper le souffle. Les musiciens se plaisent à en faire chanter le bonheur de vivre, d’être heureux envers et contre tout, la rondeur des cordes et des bois faisant palpiter à s’en griser le charme unique de cette musique. Quoi de plus beau que ces cordes soyeuses et rayonnantes de l’orchestre à cinq parties à la française ou que le velours sombre et doux du serpent et des bassons et des flûtes enchanteresses qui introduisent le trio bouleversant entre Mathias Vidal, Jean-François Lombard et Claire Lefilliâtre ? Oui, quoi de plus beau que ces voix qui se subliment, s’élèvent et s’entrelacent à l’infini !

La grande cohésion de cette exécution est un bonheur de tous les instants. Émerveillé par ce Te Deum, le public est reparti vers son quotidien, exalté par l’énergie d’un concert bien trop court (retransmis en direct et réécoutable sur Arte live Web, ainsi qu’ultérieurement rediffusé par France Musique).

MP