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Chroniques
Temistocle | Thémistocle
opéra de Johann Christian Bach
Dès les premières mesures de lasinfonia, la lecture de Christophe Rousset impose une tonicité et un relief extraordinaires à ce Temistocle que Johann Christian Bach écrivait en 1771 pour le Théâtre de Mannheim et son célèbre orchestre, alors protégé par l'Électeur Carl-Theodor IV von Pfalz-Sulzbach et considéré par toute l'Europe musicienne comme le meilleur jusqu'en 1778. Pour le compositeur, Mattia Verazi adaptait au goût du jour, plus soucieux de cohérence dramaturgique et friand de légèreté formelle, le livret que Métastase avait produit une quarantaine d'années auparavant pour Caldara. Mettant judicieusement en valeur les diverses interventions solistes d'une partition qui fait la part belle aux vents – principalement à la clarinette, à l'hautbois et au basson –, Rousset construit une sonorité équilibrée, toujours élégante, mêlant l'héritage baroque aux prémisses haydniennes et mozartiennes. Dans le même temps, par une interprétation d'une vivacité étonnante, il rend compte de l'urgence toujours plus pressante de la situation dramatique.
Sur scène, Rickard Söderberg n'apparaît pas comme idéalement distribué dans le rôle-titre. Si ses récitatifs restent efficaces, les airs révèlent un timbre terne et un grave dépourvu de chair, sans compter quelques approximations quant à la hauteur. Metodie Bujor incarne un Serse inquiétant, d'une voix ferme dont on peut apprécier l'égalité de couleur sur toute l'étendue de la tessiture. Son amoureuse, Roxane, est l'excellente Marika Schönberg dont la richesse de timbre, l'aisance vocale, la musicalité vertigineuse et le grand sens du théâtre créent un personnage passionnant qui sans frilosité entre de plain-pied dans les choix de la mise en scène.
Rival de Serse, convoîtant confusément les faveurs de Roxane et le pouvoir royal, Sebaste est confié au contre-ténor écossais Reno Troilus qui compose un être d'une grande perfidie auquel il offre une émission irréprochable, décuplée par une projection généreuse. On regrettera néanmoins un chant peu nuancé. Cecilia Nanneson propose un Neocle (fils de Temistocle) irréprochable et crédible, tandis qu’Ainhoa Garmendia est une Aspasia fort attachante, dotée d'un timbre délicat à l'impact sonore d'une grande égalité ; saluons sa prestation minutieusement nuancée, s'ornant de vocalises toujours parfaitement menées. En revanche, son soupirant Lisimaco ne bénéficie pas, en Raffaella Milanesi, des qualités souhaitables : les intervalles manquent plus d'une fois d'exactitude et, légère, la voix a du mal à se faire entendre dans cet entourage plus corsé.
Pour sa mise en scène – dont l'ingénieux dispositif scénographique, véritable oasis de couleurs, d'eau et de plaisirs dans l'aridité de l'honneur du rôle-titre, fut confié à Rifail Ajdarpasic et Ariane Isabell Unfried –, Francisco Negrin invente une Perse onirique, hybridée de délicatesse nipponne (les calmes et peut-être latentes présences du sable et de l'eau), de sensualité maghrébine (un henné discret vient dessiner les corps, soulignant leurs lignes d'un tatouage secret qui rend d'autant graphique leurs déambulations) et de despotisme militaire moyen-oriental (les ors du pouvoir sur les colonnes d'un pavillon mobile comme sur les emblèmes impériaux reproduits à l'envi sur ses tentures), qui efficacement reflète une situation – Temistocle qui demande asile à son ennemi – et une figure – l'inflexible Serse dont peu à peu s’éclaire la souveraineté. Soignant une direction d'acteur sensible, précise et exigeante, Negrin élève son travail jusqu'à un résultat exaltant d'énergie, d'émotion et d’un raffinement propre à magnifier la résurrection d'un ouvrage oublié.
BB