Chroniques

par bertrand bolognesi

Théodore Gouvy | Le Giaour, ouverture Op.14
David Reiland dirige l’Orchestre national de Metz

œuvres de Bohuslav Martinů et de Robert Schumann
Arsenal, Metz
- 26 avril 2019
David Reiland joue "le Giaour" de Théodore Gouvy à l'Arsenal de Metz
© jean-baptiste millot

Le programme du jour pourrait à lui seul illustrer quelque saine volonté de sortir un peu des sentiers battus. Si la seconde partie de la soirée ne s’y aventure point, les deux opus à occuper la première témoignent d’une louable intention de donner à entendre des raretés. Ainsi de l’ouverture Le Giaour Op.14 de Théodore Gouvy (1819-1898), compositeur lorrain – sarrois dirons d’aucuns – qui mérite grandement d’être joué [lire nos chroniques du 28 mars 2012, des 17 et 19 mai 2013, enfin du 10 juin 2013]. De fait, l’Orchestre national de Metz enregistra, sous son ancienne dénomination et avec Jacques Mercier au pupitre, cette page tonique et poétique inspirée de Byron, pour une parution discographique à l’initiative du Palazzetto Bru Zane [lire notre critique du CD]. La preste élégance de l’interprétation de David Reiland, nouveau chef de la formation, sert avantageusement Le Giaour (1878) qui paraît puiser à des influences tant allemandes que françaises, quitte à réussir l’heureux ménage de Mendelssohn et de Berlioz, sous un toit curieusement wagnérien (un motif tristanien, des sonneries puisant dans Rienzi et Lohengrin), mâtiné d’un orientalisme contrit mais certain. À la faveur de cette exécution fort bien tenue, l’on goûte une petite harmonie efficace, dominée par hautbois, bassons et trombones. Infiniment précise, la nuance met en valeur la fine écriture des timbres, par-delà l’usage parfois martiale des cuivres d’une partition peu avare en péripéties, qui se conclut comme elle avant commencé. Voilà qui invite à prolonger l’immersion dans l’œuvre de Gouvy [lire nos critiques des CD Sonates à quatre mains et Trios avec piano, ce dernier ayant été tout particulièrement distingué par notre équipe], dans l’acoustique exceptionnelle de l’Arsenal, avec le Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern qui jouera la Symphonie brève en sol mineur Op.58 de 1873, le 24 mai.

De même qu’à la Konzerthaus de Vienne il y a deux jours, l’Orchestre national de Metz accueille maintenant les pianistes Sivan Silver et Gil Garburg, pour un moment d’écrasante virtuosité : le Concerto pour deux pianos H.292 conçu par Bohuslav Martinů en 1943, lors de son exil étasunien, en réponse à une commande du duo que constituaient Genia Nemenoff et Pierre Luboschutz. Dans une étonnante couleur française et un néoclassicisme qu’on pourrait dire éclairé (à l’inverse des tenants de l’actuelle néotonalité volontiers agressifs), David Reiland [lire nos chroniques d’Iliade l’amour, Cinq-Mars, Symphonie en sol mineur n°1 de Méhul, Les contes d’Hoffmann, Messa da Requiem de Verdi, La sirène et Faust] ouvre avec superbe l’Allegro non troppo initial où l’on admire l’extrême élasticité de frappe du duo israélien, d’un élan parfois jazzy, sinon musical, qui traverse jusqu’au surprenant ostinato solistique vers un final en bref patatras. La lumière de l’instrumentation s’impose encore dans l’Adagio médian, via les répons délicats des clarinettes et des bassons, puis des flûtes, à un prélude péremptoire des pianos que l’on pourra penser héritiers de Rachmaninov et Medtner, quand l’ensemble du mouvement évoque nettement Stravinsky (Concerto pour piano et vents, 1924) et, surtout, Janáček (Capriccio pour piano et vent, 1926), n’était la tendance soul avant le terme où s’appuie d’abord une mélancolie de déraciné, puis un défi d’optimisme obligé. L’extrême raffinement de la présente interprétation s’écarte de la nature de nocturne pour magnifier les figures répétitives comme la marche inexorable du temps qui aurait bien raison de ces vilaines années de guerre, sans doute. À la douceur veloutée succède le bondissement rythmique presque orgiaque de l’Allegro, très touffu, en course folle alla Gershwin dont le jeu revigorant des pianistes et la brillante approche de l’orchestre ne suffisent pas à rendre digestes les innombrables facilités d’écriture, un rien vulgaires.

Revenant aux fondamentaux, ce menu Contrastes romantiques livre la Symphonie en ut majeur Op.61 n°2 de Robert Schumann dans une approche relativement désunie, avouons-le. La nudité du Sostenuto assai préludant l’Allegro ma non troppo est du meilleur effet, incontestablement, l’articulation quasiment fragmentée faisant ensuite redécouvrir le mouvement et ses ruptures climatiques drument accentuées. Le final prend un jour franchement pompier, en revanche. Vient le contredire un Scherzo endiablé dont le minutieux équilibre pupitral, loin de confiner à la grâce, témoigne d’une fébrilité troublante – pour le coup, voilà sans doute le passage le plus réussi de l’exécution. Nul saurait en dire autant de l’Adagio espressivo dont on attend autre chose qu’une froide mignardise. La rutilance qui conduit ensuite l’ultime épisode, Allegro molto vivace tonitruant, ne réconcilie guère l’écoute avec cette étrange version. Rien de grave, la proposition Gouvy demeure l’essentiel de la soirée.

BB