Chroniques

par bertrand bolognesi

Thésée
tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 25 février 2008
© álvaro yáñez

Il n’est pas si fréquent que le public puisse redécouvrir à quelques semaines d’intervalle deux ouvrages d’un même compositeur peu joué. Ainsi de ce Thésée qui suit, avenue Montaigne, le Cadmus et Hermione de Favart. Jean-Baptiste Lully apparaît donc comme la figure du centre exact de la saison parisienne. À monter une tragédie de Lully l’on rencontre des questions que seuls des choix fermes viennent solutionner. Par Benjamin Lazar, Cadmus et Hermione fut montré dans une volonté de reconstitution [lire notre chronique du 21 janvier], à l’encontre de ce qu’un Ludovic Lagarde en fit il y a quelques années pour la tournée des élèves de l’Académie d’Ambronay. Se gardant des débordements ineptes de cette mise en scène, celle de Roland par Stefan Grögler, pour l’Opéra de Lausanne [lire notre chronique du 2 janvier 2004], tentait l’interprétation, à savoir la rencontre, jusqu’à l’invention d’un objet alors rendu commun à l’inspirateur et à l’inspiré. Quant à Marshall Pynkoski, son Persée (Toronto) réalisait un précieux équilibre entre le scrupuleux souvenir et l’actuel ressenti [lire notre critique du DVD].

Avec Thésée, Jean-Louis Martinoty place son regard et son geste au-delà de ces options. En évoquant Versailles, comme indiqué dans le livret, mais avec une insistance manifeste, c’est le désir de représentation du pouvoir de Louis XIV qu’il restitue, non la manière dont on le représentait en son temps. Sa lecture s’exerce en profondeur, sans malmener pour autant l’obligation d’un decorum qu’elle réinvente. Après un Prologue qui permet de s’acclimater au dispositif scénique, rien de plus juste que de situer les échos de guerre devant l’autel, transformé en planisphère de stratèges. À celui qui estimera trop importante la part faite à cette violence organisée que se font les hommes depuis la nuit des temps, rappelons que la partition roule tambour, car fêter la grandeur de la monarchie était avant tout célébrer l’éternel sacrifice de son peuple. « C’est l’épée qui a créé tous les monarques et les monarchies, qui les soutient depuis leur création et qui fait observer leurs lois, leurs religions et la justice », nous dit La Colonie ! De fait, la création de Thésée suivit de quelques jours la victoire de Turckheim par Turenne, nouveau jalon dans la reconquête du Zehnstädtebund concédé par le Traité de Westphalie à l’avantage de l’Electeur de Brandebourg ; passant sur l’anecdote, on ne s’étonnera cependant pas de voir les religieuses apaiser les blessés d’un règne qui fit construire quelques cent-soixante casernes (oui, la remarque est symbolique, mais tout, ici, l’est de même).

Juste également le scandale de Médée qui, en guise de monstres infernaux, fait surgir les impossibles créatures de Jérôme Bosch : grand oiseau dévoreur d’hommes, œuf à jambes, lapin violoniste, griffon violeur, placide cuisinière à pieds de lézard sautant un gueux à la poêle, etc. La colère de la Colchidienne s’exprime dans Le Jugement dernier et scelle ses renoncements dans Le Jardin des Délices, avant que la bonne cause (un concept alors naissant) l’emporte dans la contemplation de l’image du roi devant Versailles, surplombé d’un ciel de forge.

Puisqu’il est question de forge, il faudra bien que l’oreille et le goût se plaignent de ce que la fosse se fasse bruyante sans discernement. À la tête de son Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm souligne d’un trait uniformément épais et antidynamique une exécution qui oblige les voix à empeser jusqu’aux ornements. De là survient le désagrément d’une diction mise à mal, à l’exception de celle du Chœur, contradictoirement intelligible.

D’un plateau vocal prometteur l’on retiendra la Médée d’Anne Sofie von Otter, vigoureusement ciselée, Jaël Azzaretti, fiable et attachante en Cérès comme en Cléone, les Vénus et Dorine d’Aurélia Legay, plus conséquentes, enfin l’idéale prêtresse de Salomé Haller. Côté messieurs, nos souvenirs abriteront Nathan Berg, Arcas et Mars diablement colorés, ainsi que les quatre incarnations rafraîchissantes de Cyril Auvity, d’une clarté indicible. Saluons la faconde des pieds et mains : cinq danseurs subtilement dessinés par François Raffinot articulent les ballets. Enfin, l’éclectisme des substituts de décors reflété par un dispositif de glaces n’est guère chose aisée à éclairée : bravo à Fabrice Kebour qui réussit une conduite soignée.

BB