Chroniques

par laurent bergnach

The Bassarids | Les Bassarides
opéra d'Hans Werner Henze

Théâtre du Châtelet, Paris
- 15 avril 2005
d'après Eschyle, Les Bassarides d'Henze au Théâtre du Châtelet (Paris)
© marie-noëlle robert

C'est au Salzburger Festspiele, le 6 août 1966, que fut créé The Bassarids, l'opera seria de Hans Werner Henze. Si le livret en anglais d’Auden et Kallman s'inspire des Bacchantes d'Euripide, le titre fait référence à une pièce perdue d'Eschyle – les « porteuses de peaux de renards » – qui permet d'inclure les hommes au rang des adeptes de Dionysos. Cet acte unique de deux heures, révélant quatre mouvements à la manière d'une symphonie, est présenté aujourd'hui en France dans des conditions assez particulières – dont une première retardée d'un soir.

En effet, suite a un mouvement de grève qui perturbe Radio France depuis le 4 avril, l'Orchestre Philharmonique prévu pour cette création française a du renoncer à participer aux répétitions, et donc aux représentations. Après avoir envisagé l'aide de l'Orchestre Lamoureux, c'est une autre solution qui a permis de sauver six semaines de répétition : la réduction d'orchestre. Kazushi Ōno, en accord avec le compositeur allemand, s'est chargé d'une adaptation pour vingt-et-un solistes, soit trois pianos, un violon, une contrebasse, une guitare, une mandoline, deux harpes, un célesta, sept percussionnistes et quatre trompettes.

« Afin de conserver l'homogénéité du rendu sonore, il m'a fallu supprimer la partie jouée en solo par les instruments à vent. De ce fait, la partie harmonique constituée par l'ensemble des cordes et des vents a été adaptée pour être jouée par trois pianos – Nathalie Steinberg, Frédéric Rouillon et Michael Ertzscheid. En revanche, les partitions des percussions et des autres instruments tels que harpes, célestas, etc., sont restées à l'identique ».

Applaudi sans réserve aux saluts, le chef le fut pour sa direction exemplaire, mais sans doute aussi pour son investissement dévoué.

Pour sa mise en scène sans faille, Yannis Kokkos a pensé « à la trace de l'orchestre d'un théâtre grec ouvert sur la nature, aux ombres qui s'étirent avant la nuit, à la peinture de Francis Bacon ». Ce territoire d'espace et de lumière aura pour principal habitant le Chœur du Théâtre du Châtelet, omniprésent, dirigé par l'excellent Stephen Betteridge. Abandonnant bien vite ses habits noirs de Thébains policés, il part rejoindre le mont Cithéron pour saluer Dionysos. Vêtu de rouge, il dominera la scène sur des escaliers, derrière un rideau translucide, comme un prédateur paisible avant l'attaque. L'heure de la sauvagerie viendra alors, quand sera découvert le raisonnable Penthée, espion des hommages rendus à son ennemi. On le devine : outre la richesse des rapports politiques abordés par le livret (un état totalitaire qui interdit des cultes, une contre-culture qui en soutient d'autres), les pistes psychanalytiques sont ici nombreuses, et c'est avec un certain classicisme antique que Kokkos aborde Eros et Thanatos – nulle orgie, nul démembrement visible. Au terme de toutes ces luttes, intimes et publiques, conscientes ou refoulées, l'amertume finit par l'emporter puisque l'extase offerte par le nouveau maître est un leurre. Les dieux puissants ne sont pas bons...

Fondateur de Thèbes, ancêtre de la famille, Cadmos est incarné par Matthew Best. Poursuivant une double carrière de chanteur et chef d'orchestre, le baryton-basse abandonne vite une diction empâtée pour nous offrir des graves efficaces. June Anderson est sa fille Agavé, future infanticide. La voix aérienne de la soprano convient à cette féminité en éveil, mais moins son timbre parfois acide et l'emphase apportée à la scène de réveil. Son fils Penthée jouit de la vaillance et de la stature du baryton nord-américain Franco Pomponi ; les nuances apportées en seconde partie de soirées trahissent à bon escient la fragilité d'un personnage jusque là hiératique. Les autres occupants du palais sont eux aussi excellents : Marisol Montalvo (Autonoé, sœur d'Agavé) ainsi que Robin Adams (Capitaine) ont des voix sonores et chaleureuses, Rebecca de Pont Davies (la nourrice Beroé) et Kim Begley (le vieux prophète Tirésias), outre leurs qualités vocales, composent des personnages émouvants. Enfin, Rainer Trost, parfois engorgé et tendu sur l'aigu, est un Dionysos au timbre chaud et cuivré, sensuel et inquiétant.

LB