Chroniques

par arvid oxenstierna

The circle | Le cercle
opéra de Ludger Vollmer

Deutsches Nationaltheater, Weimar
- 20 juin 2019
"The circle", opéra de Ludger Vollmer, en création mondiale à Weimar
© candy welz

Le Deutsches Nationaltheater de Weimar propose, en création mondiale, un nouvel opéra qu’il a commandé à Ludger Vollmer. Né à Berlin en 1961, le musicien fut un élève brillant de la Hochschule für Musik Franz Liszt de la cité thuringienne, aussi bien dans les classes de composition que de pratique instrumentale. C’est d’ailleurs en tant qu’altiste qu’il a mené une carrière dans plusieurs orchestres allemands, tout en perfectionnant sa créativité auprès de Terzakis à Leipzig. Il s’est rapidement fait une réputation en tant que compositeur qui adapte des films à l’opéra. C’était le cas de Gegen die Wand (2008), d’après l’œuvre éponyme de Fatih Akin (1994), puis de Lola rennt (2011) d’après celle de Tom Tykwer (1998) ; ça l’est aussi de The circle, à la fois inspiré du film de James Ponsoldt (2016) et du roman de l’Étasunien Dave Eggers (2013) dont il était tiré.

Son sujet est l’impact excessif des réseaux sociaux sur la vie des gens, le contrôle qu’on peut exercer à partir d’eux, à l’échelle mondiale, la possibilité d’une pression constante et d’une manipulation de masse à partir des données informatiques et de la navigation sur internet. Le roman critique et met en garde notre société tout en se situant clairement dans le genre science-fiction ou anticipation. Dans les cinq cents pages de ce livre bavard, la librettiste Tina Hartmann a puisé matière à un ouvrage lyrique de près de trois heures, en s’appuyant volontiers sur le scénario du film. Malgré l’accroche possible au personnage, à juste titre exaspérant, d’une jeune carriériste dépassée par la situation, l’explosion et l’utilisation malintentionnée du Big data gagnent assez péniblement le monde lyrique et, malgré l’ingéniosité et l’engagement du metteur en scène, on ne fait que s’ennuyer.

La tentative de Ludger Vollmer se justifie par une espèce de naïveté, revendiquée et fatigante, qui n’a pas grand-chose à faire sur une scène lyrique. La musique procède de façon toujours attendues – scansions dans les réunions de Cercle, rythmes séducteurs pour évoquer la réussite sociale escomptée, etc. Au pupitre de la Staatskapelle Weimar et de l’excellent Opernchor des Deutsches National Theater, Kirill Karabits défend avec enthousiasme une partition qui, sous sa battue, paraît plus intéressante qu’elle ne l’est véritablement [lire nos chroniques des 5 juin et 4 juillet 2017, du 4 mai 2007, du 20 septembre 2006, du 11 septembre 2004 et du 13 septembre 2003]. L’attention du mélomane se rabat volontiers sur une écriture vocale virtuose n’hésitant pas à demander aux chanteurs une souplesse acrobatique. Et si le charme du Cercle – la secte qui contrôle tout dans l’argument, non l’œuvre représentée, The circle – résidait précisément dans cet aspect de la vocalité ? En dominant le bourdonnement incessant de la toile, le Cercle obtient ce qu’il veut de tous.

Outre une performance chorale de bonne tenue, il faut louer les chanteurs de cet ouvrage techniquement difficile qui compte de nombreuses petites interventions, parfois parlées, lorsqu’il ne s’agit pas simplement de figuration. Les rôles principaux sont très bien tenus par Ray Chenez, contre-ténor passionnant dans les parties de Kalden et de Ty [lire nos chroniques d’Orfeo et de Trois sœurs], par l’agile soprano Heike Porstein en attachante Annie et par le mezzo colorature de Sayaka Shigeshima, extraordinaire en Mae. Un artiste se démarque, le jeune baryton-basse ukrainien Oleksandr Pushniak qui incarne Mercer d’une voix chaude, longue, charismatique, une présence scénique superlative lui donnant plus de relief encore.

Sur le décor sobre qu’a conçu Raimund Bauer sans insister sur le côté bizarre de l’anticipation – seul la direction du Cercle affirme l’aspect d’un bureau totalitaire –, la mise en scène d’Andrea Moses utilise les vidéos de René Liebert qui convient l’interaction en ligne. Les costumes de Svenja Gassen rassemblent tous les protagonistes dans une uniformisation troublante et inquiétante puisqu’elle ressemble nettement aux tenues de nos contemporains, avec les diverses attaches nécessaires au contrôle et à l’endoctrinement – le Smartphone, obligatoire. Cette création ne perdure pas plus que le temps de la soirée.

AO