Chroniques

par laurent bergnach

The lighthouse | Le phare
opéra de Peter Maxwell Davies

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris
- 27 avril 2017
The lighthouse, opéra de Peter Maxwell Davies pour trois solistes
© jean-didier tiberghien

En reprenant la direction de The Pierrot Players, ensemble en partie fondé par son compatriote Birtwistle et rebaptisé The Fires of London (1970), Peter Maxwell Davies (1934-2016) s’intéresse de plus en plus au théâtre musical, sur les traces d’Eight songs for a mad king (1969) [lire notre chronique du 27 mai 2016]. Son célèbre The lighthouse est créé le 2 septembre 1980, à Édimbourg, sous la direction de Richard Buffalo – à ranger avec The martyrdom of St.Magnus (1977) dans la catégorie opéra de chambre.

Pour le livret qu’il signe seul, le compositeur s’inspire d’un fait divers déniché à la lecture d’un ouvrage de Graig Maier, A star for seaman (1978), qui évoque des ancêtres de l’écrivain Robert Louis Stevenson ayant tiré profit d’une mer toute proche. En décembre 1900, le navire ravitailleur Hesperus fait sa tournée aux îles Flannan, petit groupe des Hébrides au nord-ouest de l’Écosse. Le phare qui domine la région est anormalement désert, ses trois gardiens ayant disparus sans laisser de traces. Devenu un cliché de film de genre, une table abandonnée à la hâte est l’indice que quelque chose a mal tourné. « Mon opéra ne propose pas de solution à ce mystère, explique Maxwell Davies, mais montre ce qui peut arriver lorsque trois hommes se trouvent bloqués dans un phare en pleine tempête, longtemps après le moment où ils espéraient être relevés, et que la situation devient tendue. »

Dans une salle de tribunal, la commission d’enquête du prologue présente les témoignages des officiers de l’Hesperus, lesquels sont assez contradictoires pour épaissir d’emblée l’énigme et désespérer de sa résolution. Propre au fantastique maritime, la peur forme un écran où chacun projette ce qu’il redoute – ni les sirènes, oiseaux et félins entrevus avant d’accoster sont réels, contrairement aux rats du logis. Une riche percussion (marimba, glockenspiel, tambourin, maracas, etc.) comme la stridence du piccolo créent une tension que va apaiser un retour en arrière sur le quotidien des gardiens. Pourtant, si la ballade de Blaze éloigne un moment la discorde par son humour macabre (avec banjo et violon), déjà la romance ambigüe de Sandy est l’occasion de quolibets (violoncelle, piano désaccordé) quand l’hymne d’Arthur annonce l’apogée d’un fanatisme religieux (cuivres, clarinette).

Récemment associé au spectacle Qaraqorum de François-Bernard Mâche [lire notre chronique du 2 mars 2017], Alain Patiès réussit le pari de mettre en scène un huis clos fascinant, avec les scénographes Laure Satgé et Valentine de Garidel. D’abord caché par une voile épaisse, le phare en coupe présente une surface réduite à l’essentiel où tournent le faisceau de lumière et les hommes, surtout, tels des bêtes en cage. Les jeux d’éclairage de Jean-Didier Tiberghien et l’invasion progressive de la brume peaufinent l’ambiance anxiogène.

Trois artistes incarnent sans faillir des personnages en proie à leurs propres démons et fantômes, dont deux sont habitués aux ouvrages intimistes. Christophe Crapez (Sandy) livre un ténor ample, rond et maîtrisé jusqu’en voix de tête [lire notre chronique du 15 janvier 2011]. Agile sur toute la tessiture, le baryton Paul-Alexandre Dubois (Blaze) surprend et inquiète par ses suraigus hystériques qui ne présagent rien de bon [lire nos chroniques du 10 et 14 février 2007]. Figure moins familière, Nathanaël Kahn (Arthur) est une basse au timbre pur et juvénile, officier effacé qui réserve sa sonorité à l’exaltation finale. Enfin, félicitons Philippe Nahon pour sa direction nuancée et expressive à la tête de l’ensemble Ars Nova, coproducteur du spectacle avec la compagnie La Grande Fugue.

LB