Chroniques

par cecil ameil

The Messiah | Le Messie
oratorio HWV 56 de Georg Friedrich Händel

Cathédrale St Michel et Ste Gudule, Bruxelles
- 30 octobre 2003

Environ huit cent personnes sont présentes dans cet édifice imposant du centre de Bruxelles pour le concert organisé par l’Ensemble Vocal Tonus de Graz (Autriche) et le Studio de Musique Baroque du Conservatoire Royal de Bruxelles. Une première eut lieu à Graz la semaine dernière, et deux autres concerts sont également programmés en Belgique les jours prochains.

Il est évidemment fort regrettable que le Fonds des Amis de la Cathédrale, chargé de l’organisation de l’événement, certes conduite de manière professionnelle et courtoise, ait jugé utile d’imposer aux musiciens d’amputer Le Messie d’environ une demi-heure afin de raccourcir le concert et satisfaire à des considérations mondaines d’un autre âge. Plusieurs airs de solistes et les deux duos ont ainsi disparu, et la Résurrection fait suite à la Mort du Sauveur dans une transition assez brutale.

Ceci étant dit, quelques mots sur les musiciens qui, s’ils ne sont pas dans le Parthénon des stars du moment (et même, pour certains d’entre eux, ne sont pas encore des professionnels confirmés) n’en sont que plus remarquables. D’un côté, l’Ensemble Vocal Tonus, fondé en 1997, composé de seize jeunes chanteurs (actuellement neuf femmes et sept hommes), spécialisé dans la musique sacrée, ancienne (Händel, Bach) ou contemporaine (Kodály, Britten), est mené sous la baguette de l’Autrichien Herbert Bolterauer, également enseignant en musique sacrée, organiste et chef de chœur de l’église baroque Mariahilf de Graz.

D’autre part, le Studio de Musique Baroque de Bruxelles, créé en décembre 1999 par Bernard Woltèche au sein du Conservatoire Royal de Musique (Bruxelles), a pour objet de proposer aux jeunes musiciens une approche vivante et cohérente (entre voix et instruments) du répertoire baroque. Le violoncelliste belge, chargé de cours dans la classe d’Alain de Rijckere, est plutôt spécialisé dans la musique ancienne (collaborant avec le Ricercar Consort ou Les Agremens) et les petites formations : ici, dix-huit instrumentistes composent l’ensemble dont le premier violon, la jeune Caroline Bayet, diplômée avec distinctions en violon et musique de chambre, est lauréate de la Belgian Foundation for Young Soloists.

Avec six jeunes chanteurs solistes, c’est donc un groupe assez restreint, sous la direction de Bolterauer (Woltèche au violoncelle) qui emmène l’auditoire à la redécouverte d’une œuvre archi-connue et souvent jouée, mais cette fois dans une approche chambriste, en quête d’équilibre. À l’inverse, on se souviendra que, dès la première exécution du Messie, sous la baguette de Händel venu se réfugier à Dublin en 1742, cinquante-six interprètes étaient rassemblés, distribués entre seize chanteurs et quarante instrumentistes.

C’est peu de dire que cette œuvre impose le respect par sa force expressive et une diversité de tonalités étonnante dans une forme devenue typiquement anglaise, l’oratorio sacré, à laquelle le compositeur a donné ses lettres de noblesse (il en écrivit plus de trente). Malgré la taille imposante de la Cathédrale et le monde venu assister au concert, il faut reconnaître que cette palette de qualités est rendue avec justice, bien qu’avec un ensemble de cette taille les derniers rangs ne bénéficient pas d’une présence acoustique suffisante. On se surprend pourtant à constater que le son reste distinct de bout en bout de la nef, chaque pupitre se détachant nettement d’un groupe d’interprètes d’une quarantaine de personnes – l’effet serait tout autre dans une église aux dimensions nettement plus modestes où le même Messie était donné deux jours plus tard, dans son intégralité, cette fois : malgré une présence acoustique en tout point supérieure, des effets de résonances en tourbillon rendront l’écoute assez confuse.

Incontestablement, l’approche d’Herbert Bolterauer est très musicale. C’est un bonheur d’entendre une sonorité aussi chantante et enlevée dans ce Messie tant galvaudé par des versions musclées et parfois pesantes. On ne saura reprocher à ce groupe de manquer d’expressivité dans cette œuvre sacrée par excellence, mais le chœur n’a sans doute pas toute la vigueur voulue. – les concerts donnés dans les jours suivants prouveront ensuite que ce problème n’est pas lié à la taille même du chœur mais viennent bien du pupitre de basses et, surtout, de ténors dont la projection est insuffisante. Il n’y a guère que dans les passages a cappella que ce défaut s’estompe.

Le sens dramatique de cet oratorio est rehaussé par la performance des solistes, intervenant dans de multiples combinaisons de récitatifs et airs aux accompagnements variés qui confèrent tout l’attrait de cet opus. Le ténor anversois Stefan Cifolelli, notamment, signe une prestation remarquable tout au long du concert, entamant le cycle d’airs des Prophéties par une Annonciation interprétée avec bonheur : une très belle présence vocale, assise sur une parfaite maîtrise technique du chant, caractérisée par une excellente conduite de la voix (une pulsation aussi allante est plutôt rare chez les chanteurs) et une grande précision tonale et rythmique ; le tout marié à une sensibilité théâtrale évidente, de la part d’un membre de l’Opéra Studio de La Monnaie, qui ressort opportunément dans l’expression de la souffrance pour la Mort du Sauveur.

Chez les femmes, le soprano belge Sylvie Sténuit, diplômée du Conservatoire Royal de musique de Liège, contribue à l’excellence de cette soirée par une technique vocale impeccable, le timbre présentant un éclat tout particulier, sans sacrifier au texte, toujours clair. Son interprétation du récitatif de La Nativité, qui traduit la première manifestation du Christ auprès des bergers, dans le prolongement d’une introduction instrumentale pastorale (Pifa) aux consonances étonnantes, comme inspirée de musiques traditionnelles irlandaises, est emprunte d’une ferveur lumineuse. On retrouve une expression pleine de joie dans la description des messagers de Dieu qu’elle donne pour La Résurrection ; et encore dans son interprétation avantageusement engagée de La Résurrection des morts, à la suite de l’Alléluia, sa voix s’agrémentant alors d’un vibrato assez prononcé.

Bien que le soprano belge Anne Maistriau fasse preuve d’une sensibilité vocale aussi affirmée, animant un timbre de voix chaleureux, son émission ne présente pas la même stabilité ; la ligne mélodique et le texte en souffrent parfois. On peut légitimement penser qu’il ne s’agit là que d’une question de maturité pour une jeune artiste qui termine sa formation à Bruxelles. Reste que ses interventions (en particulier pour Le jugement dernier) ne manquent pas de flamme.

Il n’en va pas de même du mezzo-soprano anglais Helen Cassano, elle aussi élève au Conservatoire Royal de Bruxelles, qui, au même titre que le contre-ténor argentin Pehuén Diaz Bruno, trahit trop de retenue vocale par rapport aux autres solistes. De telles voix peuvent faire preuve d’une grande précision, et surtout bénéficier d’une diction très propre (ce qui indique bien que la technique est sûre), mais il est regrettable, en tout cas pour le mezzo, que l’engagement ne soit pas plus franc. Quand Helen Cassano décrit la Gloire du Seigneur (dans Les Prophéties), par exemple, sa voix est trop mesurée, presque terne. Pehuén Diaz Bruno (également élève de l’institution bruxelloise) accuse une émission vraiment trop petite en de tels lieux : son expressivité physique, palpable, indique le soin apporté à la présence, mais cette attitude ne trouve pas son prolongement dans la voix – c’est patent dans He was despised, le bel air qui décrit le mépris qu’essuie le Christ.

La jeune basse belge Nicolas Achten, personnalité aux activités musicales foisonnantes – études du clavecin, du théorbe, spécialisation en musique ancienne, fondateur d’un ensemble baroque, etc. – s’avère peut-être le moins convaincant des solistes. Sans qu’il y ait à redire à sa présence, tant physique que vocale, on regrette que la voix manque de conduite et que la projection soit insuffisante. L’émission manque de concentration et de nuance. Le texte est moins bien rendu que chez ses acolytes ; en particulier dans le tableau qu’il dresse du Jugement dernier, attaqué en force, des frottements des cordes vocales et une mollesse de diction gâchent quelque le panache incontestable que le chanteur y met.

On peut féliciter l’excellent travail de direction et des instrumentistes qui s’adaptent parfaitement à ces profils vocaux différents sans jamais donner l’impression de pesamment les suivre dans leurs élans ni de les couvrir, toujours soucieux au contraire de maintenir une belle symbiose de tous les interprètes. Autre particularité, due sans conteste à la qualité à la fois de la baguette et des instruments : la lecture de ce Messie, tout en délié extrêmement net et précis, est guidée par une recherche soignée de la variété des nuances et des couleurs (constamment manifeste dans le jeu des archets) qui contribue grandement à dynamiser une approche intimiste de la partition.

CA