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The Other (In)Side
spectacle de Benjamin de la Fuente
Le 28 septembre dernier, cent ans jour pour jour après sa création à Lausanne, L’histoire du soldat y était redonné à l’Opéra, mis en scène par Alex Ollé (La Fura dels Baus), avec Sébastien Dutrieux en narrateur. Depuis cette date, d’autres occasions furent offertes au public de goûter l’art de Stravinsky et Ramuz, notamment parisiennes : au Théâtre des Champs-Élysées, avec Didier Sandre (7 octobre) et à l’Auditorium de Radio France, avec Lambert Wilson (11 novembre). Il faut parler aussi du 10 décembre prochain, au Musée de l’Armée (Hôtel national des Invalides), avec le violoniste Léo Marillier, récitant pour l’occasion.
De son côté, le compositeur Benjamin de la Fuente (né en 1969) rend hommage au chef-d’œuvre conçu durant l’agonie de la Grande Guerre à travers ce qu’il juge un exercice de style, c’est-à-dire en l’invitant dans un univers en proie à l’incident et au burlesque. « Je ne pouvais pas me permettre de faire une musique qui soit sombre, dure ou raide, du fait de la présence permanente dans ce spectacle d’une sorte de “diable de théâtre”, qui implique recul et décalage », explique le créateur d’On fire [lire notre chronique du 7 février 2015] en citant, sans hésiter, les bons vieux Tom and Jerry de William Hanna et Joseph Barbera.
Pour cette création mondiale, le public emprunte des escaliers pourvus de haut-parleurs et s’installe face à la scène où une régisseuse (Virginie Burgun) et un percussionniste (Gianny Pizzolato) préparent une session d’enregistrement de L’histoire du soldat. Les sept musiciens bientôt réunis connaissent bien la partition, au répertoire de TM+ depuis plusieurs années ; ce devrait être fingers in the nose… Malheureusement, la chute d’une sourdine de trombone ici (Olivier Devaure), une défaillance du trompettiste là (André Feydy), etc., obligent à recommencer plusieurs fois la célèbre Marche du soldat. Quand elle arrive enfin à son terme, l’écoute de la prise de son réserve bien des surprises. « C’est pas ça… » conclut une voix en régie. On reprend, mais « quand ça veut pas, ça veut pas… ». De plus, une mauvaise liaison entre l’équipe technique et le chef Laurent Cuniot génère des quiproquos qui sabotent davantage le travail. On joue quand même les Marche royale et Petit concert mais, ajoutés à cela des soucis d’éclairage, c’est un enfer !
Même mis en scène par Jos Houben qui a fréquenté les univers d’Aperghis, Kagel et Beckett, le spectacle perd vite de son pouvoir attractif à cause d’une certaine complaisance à varier puis s’éloigner du matériau originel. L’énergie bien connue de La Fuente ne ravit pas ce soir [lire notre critique du CD], le musicien séduisant plutôt avec un nocturne joué par un trio d’archets ou un intermède d’halètements. Si la loufoquerie regagne régulièrement notre attention, elle est plus verbale que musicale – l’intervention virtuose de la violoniste Hélène Maréchaux, tandis que Charlotte Testu délaisse la contrebasse pour un klaxon bouché avec le doigt, et qu’Yannick Mariller lâche son hautbois pour un vibraslap. Il faut évoquer ces phrases enregistrées qui émaillent la soirée, façon making off – « on peut presque dire qu’il n’y a pas de musique – Ah mais c’est ça le but ! » –, ou échangées par un couple perdu sur la route, à la recherche de la salle de concert. En ce jour anniversaire de la mort d’Apollinaire, ces pépites surréalistes sont fort appréciables.
LB