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Chroniques
The perfect American | L’Américain parfait
opéra de Philip Glass
Créé au Teatro Real de Madrid le 22 janvier dernier et retransmis en direct sur Medici.tv à l’occasion de sa septième et ultime représentation, le nouvel opéra de Philip Glass s’attache à une figure mythique et controversée de l’art commercial du XXe siècle, grandie dans l’ombre de ses animaux parlants : Walt Disney (1901-1966). On connaît généralement peu la vie de ce descendant de colons irlandais qui, jusqu’à la création du premier dessin animé avec son synchronisé par ses studios fraîchement rebaptisés Walt Disney Productions (Steamboat Willie, 1928), multiplia les boulots avec plus ou moins de réussite (animateur publicitaire, photographe freelance, etc.), à l’image d’un père qui rebondit sans cesse pour s’adapter aux crises sociales et privées. Parmi ses emplois de jeunesse, on note celui de vendeur à bord des trains de la Missouri Pacific Railroad, durant l’été 1917 (quelques mois avant d’entamer des études de dessin sur son temps libre), qui annonce sa passion pour les miniatures ferroviaires et l’inclusion d’un chemin de fer dans les plans de son futur parc à thème.
Au début des années trente, notamment grâce aux produits dérivés, Mickey Mouse devient le personnage de dessin animé le plus populaire, mais Disney doit toujours faire face aux dettes contractées pour devancer la concurrence – en employant le coûteux Technicolor, par exemple. Pour générer des bénéfices, Disney imagine de s’atteler à un long métrage : ce sera Blanche-Neige (1937), réalisé à l’aide de techniques d’avant-garde (animation réaliste des personnages, effets spéciaux, etc.), qui devient rentable au delà des espérances. Le filon est exploité, mais l’échec financier de Pinocchio et Fantasia (1940), puis la grève des studios durant la conception de Dumbo (1941) – réquisitionnés par l’armée pour fournir des images de propagande (1943) –, font que l’embellie est passagère. Il faut attendre les années cinquante pour que l’exploration télévisuelle et la création de Disneyland (1955) assurent un succès durable.
Serviteur du maccarthisme tout en imaginant la cité de demain en utopiste (EPCOT), porte-drapeau d’une « pop’culture décadente qui embrase tout » (Jan Švankmajer) [lire notre chronique du 27 septembre 2012] ou puissant fécondeur – « Walt Disney est méprisé. Walt Disney m’a beaucoup apporté » (Hugo Pratt) –, ce pionnier gagne aujourd’hui la scène via une biographie fictive : Der König von Amerika (2001). Par l’intermédiaire d’un cartooniste inventé par Peter Stephan Jungk, l'Autrichien Wilhelm Dantine, le lecteur découvrait la face obscure de Disney en fin de vie, entre faits avérés et imaginaires (mégalomanie, racisme, misogynie, etc.). Aujourd’hui, le livret de Rudy Wurlitzer fait de Dantine une figure dispensable et du producteur autre chose qu’un monstre froid. En effet, une large part est accordée au paradis perdu qu’est Marceline (« Royaume enchanté. Âme de l’Amérique »), la ville du Midwest où le petit Walt découvrit l’amour de la nature et des créatures vivantes, dans la ferme que posséda son père durant quelques années.
Nous ne dirons rien ici de la mise en scène de Phelim McDermott, ni de la prestation de Christopher Purves dans le rôle principal, ni de la direction de Dennis Russell Davies – un habité des créations de Glass. Nous préférons renvoyer le lecteur d’une part au site de Medici.tv qui met gratuitement à disposition la captation durant trois mois, d’autre part à la reprise des représentations à l'English National Opera (Londres) à partir du 1er juin, mais surtout à la sortie DVD du spectacle, prévue à l’automne prochain. Ce sera notamment l’occasion de commenter les apparitions de Lincoln et Warhol qui encadrent l’entracte, portées par des artistes de talent.
LB