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The pirates of Penzance or The slave of duty
Les pirates de Penzance ou L’esclave du devoir
Oui, l'humour voyage bien ! Voilà la joyeuse leçon tirée au Théâtre de Caen qui, en coproduction avec Londres, Luxembourg et Sarrebruck, fait enfin découvrir en France l'opéra-comique anglais The pirates of Penzance du fameux duo Gilbert et Sullivan. Ce qui veut dire qu'on a ri, beaucoup, en savourant la mise en scène signée – autre événement ! – par le grand cinéaste Mike Leigh, d'une production récente, reprise au cinéma et couronnée de succès depuis la première londonienne de mai dernier.
Créée à New York en 1879, c'est d'abord une parodie très réussie, clin d'œil malin aux opéras populaires du XIXe siècle, sur une intrigue vite inspirée, aux relents d'aventures de pirates, qui ressemble à une belle arnaque – et c'est un compliment ! Il y a là un livret (William Schwenck Gilbert) plein de bons mots, jouant fort sur l'absurde (le nonsense parfois proche des Monty Python), et une musique beaucoup plus soignée qu'en apparence, parfois brillante et audacieuse, convoquant avec plaisir, fantaisie et fausse modestie la poésie la plus élémentaire, sans pour autant sembler maîtriser les moyens lyriques habituels.
Offert à un prix très intéressant au grand public caennais (petits et grands dès huit ans, selon l'affiche), et ce en période de vacances scolaires, The pirates of Penzance prend la forme d'un divertissement conquérant, de par son originalité et sa sensibilité, porté par l'interprétation rapide et contrastée de l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg dirigé par l'Anglais Timothy Henty, et traversé de forces irrésistibles : l'humour guilleret, les chœurs féminins fort charmeurs, les musiques mélodieuses et sautillantes, l'humanisme à travers les personnages... Son succès fracassant tient peut-être surtout à un remarquable esprit de troupe, animé et amusé, mais aussi appliqué. Ainsi l’Opernchor des Saarländischen Staatstheaters, scindé entre pirates brailleurs à l'humour potache et demoiselles vertueuses – toutes belles à la mode victorienne –, réussit dans le genre comique populaire une performance théâtrale et lyrique de haut niveau, jouant de toutes sortes d'émotions, souvent dans une remarquable alternance.
L'ensemble des chanteurs est à saluer, sur le plan strictement vocal tout d'abord, mais aussi pour l’art de camper des personnages et de conter des histoires parfois incroyables, avec un grand sens de la mesure et du geste exact. La mise en scène trouve le rythme naturel et crée des êtres humains aux qualités peut-être typiques des personnages de Mike Leigh : à savoir dignes, drôles, lâches, maladroits... Quel meilleur exemple que Ruth, matrone vouée au rejet par le jeune Frederic, ici incarnée sans ridicule, avec faiblesse certes (elle boîte) mais aussi une certaine vaillance et même de l'élégance ? Le mezzo-soprano londonien Rebecca de Pont Davies apporte à ce second rôle classe et douceur, sans aucune prétention [lire nos chroniques du 15 avril 2005 et du 18 avril 2012].
En outre, le ténor Robert Murray (l'apprenti pirate Frederic) s'impose largement, drôle et sympathique dans les dialogues, romantique noble et galant dans son chant... ou l'art d'être à la fois banal et héroïque [lire notre chronique du 20 janvier 2011]. Sa dulcinée Mabel est aussi composée avec réussite par le soprano irlandais Claudia Boyle, merveilleuse par le corps et par la voix pour minauder, vocaliser, s'acoquiner, déclarer sa flamme, etc. Relevons aussi les deux grandes interprétations de la soirée : la basse australienne Joshua Bloom, Roi des pirates en chair et en os, d'une voix forte, chaude et assez fabuleuse, et le baryton Adrian Powter qui allie à merveille une diction parfaite à des propos idiots pour camper un Major-General hilarant dont toujours le chant est toujours juste. Chapeau enfin – énorme, à l'anglaise ! – à la scénographe Alison Chitty, remarquée pour ses Billy Budd, Fiançailles au couvent et Parsifal [lire nos chroniques du 24 avril 2010, du 11 janvier 2011 et du 18 décembre 2013] et déjà collaboratrice de Mike Leigh sur deux de ses films, pour les décors en grands panneaux de couleurs vives unies, et pour des costumes aussi grotesques (les bobbies !) ou gracieux (les baigneuses de Cornouailles) que subtils.
FC