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Chroniques
The Rake’s Progress | La carrière d’un libertin
opéra d’Igor Stravinsky
Vingt ans après… non, il n’y a rien du fameux roman de Dumas dans cette soirée du Glyndebourne Festival durant laquelle est donné The Rake’s Progress dans la mise en scène imaginée par John Cox dans le décor du peintre britannique David Hockney, puisque cette dernière ne fut pas créée il y a vingt ans mais en 1975, il y en a donc quarante-huit ! Régulièrement reprise sur l’éminente scène estivale du Sussex, cette production fit aussi l’objet de deux DVD [lire nos recensions de la version dirigée par Bernard Haitink et de celle dirigée par Vladimir Jurowski]. Qui ne la connaît pas ? On est autorisé à penser que chaque fauteuil occupé l’est par une mémoire qui s’en souvient, d’une manière ou d’une autre, et, par conséquent, que le public, puisqu’il y revient, est sûr de trouver son plaisir. Et pourtant… En ce qui me concerne, j’ai abordé l’opéra de Stravinsky, il y a bien longtemps, avec les mises en scène de Gangneron en Avignon et d’André Engel au Théâtre des Champs-Élysées, puis avec Olivier Py au Palais Garnier [lire notre chronique du 5 mars 2008]. Aussi surprenant que ce soit, j’arrive donc vierge comme un nouveau-né face à la célèbre scénographie d’Hockney.
Pardon d’avance des mots qui suivent et qui pourront être crus ceux d’un blasphémateur, mais j’avoue m’être profondément ennuyé dans le musée de Glyndebourne où il est de bon ton de se pâmer à la moindre trouvaille du peintre et du metteur en scène, quoiqu’on en pense. Je ne peux évidemment pas envisager quelle fut la réception des spectateurs de 1975, et il est sans doute justifié de considérer ce travail comme du beau travail si l’on se place dans leur perspective. Et rappelons-nous que l’œuvre n’avait que vingt-quatre ans. Mais, en réalité, peut-on vraiment se placer dans cette perspective-là ? En 2023, comment y parvenir ? Alors, à celui qui n’a pas été nourri par les captations et auquel toute nostalgie est épargnée, Rake’s Progress paraît lourdement désuet et les rires qu’il provoque – plutôt qu’il serait censé provoquer – semblent d’une insincérité redoutablement snobe. Quant à l’émotion des derniers moments, il ne faut pas y songer. Peut-être qu’un inconditionnel du plasticien anglais, né à environ quatre cent cinquante kilomètres au nord de l’événement, y trouve son compte, mais ce n’est pas notre cas : si son œuvre ne nous irrite pas, elle nous indiffère, même occupée par les marionnettes de cette mise en scène d’un autre âge qui ne faut plus illusion.
Notre premier rendez-vous de l’été à Glyndebourne ne trouve pas non plus dans le casting vocal réuni une satisfaction franche. Personne ne démérite complètement, mais, aussi intéressante que soit chacune des prestations, nous assistons à une succession de numéros plutôt qu’à un opéra. Alastair Miles fait bien son Trulove Père, parce que l’instabilité de l’émission est excusée par l’âge du personnage. À l’inverse, Tom bénéficie du timbre clair et de la vaillance sans faille du jeune Thomas Atkins. Le ténor britannique se montre bon musicien et grand comédien [lire nos chroniques d’Otello et d’A midsummer night's dream]. On retrouve Carole Wilson en savoureuse Mother Goose à laquelle elle offre une robustesse de la ligne vocale qui enthousiasme [lire nos chroniques de Peter Grimes, La fille de neige, Lady Macbeth de Mzensk, Le conte du tsar Saltan et Jenůfa]. Nous sommes encore plus charmés par le chant impeccable d’Alisa Kolosova dans le rôle de Baba La Turque [lire nos chroniques de Rusalka à Paris, Messe D.950 et Eugène Onéguine]. La plus impressionnante incarnation est incontestablement celle de Louise Alder, soprano très habile qui fait bel effet en Anne [lire nos chroniques de The rape of Lucretia, Serse, Die Zauberflöte et Giulio Cesare in Egitto]. La facilité avec laquelle le baryton-basse Sam Carl assume la partie de Nick Shadow fait mouche, mais le personnage n’existe pas – bon, le diable existe-t-il, cela dit ?... [lire notre chronique des Troyens].
À la tête du London Philharmonic Orchestra, Robin Ticciati ne perd rien de la partition stravinskienne dont il souligne avec adresse l’inscription néoclassique. Il signe une interprétation énergique et invite cette poésie qui n’était pas entrée sur scène. L’intelligibilité de son approche est tout à fait admirable [lire nos chroniques d’Aeolus–Re-turning III, Der Rosenkavalier, Sixième de Bruckner, Rusalka ici-même, La damnation de Faust et Sudden Time]. Hâte de retrouver cette bonne baguette dans les opéras de Britten et de Poulenc ces prochains jours !
HK