Chroniques

par laurent bergnach

The rape of Lucretia | Le viol de Lucrèce
opéra de Benjamin Britten

Opéra de Tours
- 11 février 2007
The rape of Lucretia, opéra de Britten, à Tours (photo François Berthon)
© françois berthon

Créé le 12 juillet 1946 à Glyndebourne, boudé pour sa perspective chrétienne et sa dimension moralisatrice, The rape of Lucretia aborde ce qui demeure un thème favori de Benjamin Britten : l’innocence bafouée. Tite-Live, Ovide puis Shakespeare ont contribué à faire connaître l’histoire de cette dame romaine, modèle de vertu conjugale, que l’officier Tarquin, lui ayant demandé l’hospitalité pour la nuit, désire depuis trop longtemps pour la respecter.

Comme l’analyse Gilles Bouillon, l’ouvrage constitue « une fable insolente sur la liberté, le désir, la violence faite aux femmes, ciselée par un musicien qui pensait que la musique était inséparablement au service des sens et DU sens ». Ce familier du théâtre revient à son tout premier opéra, mis en scène ici-même en 1998. Avec des rideaux légers, un bassin à l’eau paisible, la demeure confiée aux femmes semble bien fragile en ces temps de domination étrusque – à l’instar de Lucrèce dont les derniers instants avec Tarquin, réglés de façon quasi chorégraphiques, échappent à toute vulgarité mais pas à l’irréparable. Les accessoires sont réduits au minimum, marquant le domaine des hommes (boucliers) et celui des femmes (fleurs).

Médiateurs du drame à venir, apparaissant d'abord de dos et en costume de ville, le Chœur masculin et le Chœur féminin contemplent la fresque d'une femme couchée, un poignard à ses côtés. Michael Bennett nous avait déjà saisis dans une autre œuvre de Britten [lire notre chronique du 10 avril 2005] : souple et vaillant, le ténor jouit d’une belle projection, de nuances délicates. S’avérant un soprano riche en harmoniques et aux aigus agiles durant l’Acte II, Sophie Fournier habite une silhouette silencieuse. D’une belle pâte vocale, Marie-Thérèse Keller offre une sobriété émouvante à son sacrifice (Lucretia). Avec sa voix juvénile et claire au legato exquis, Marina Lodygensky (Lucia) éclipse un peu Anna Destraël (Bianca), mezzo d’une puissance inégale. Tarquinius et Collatinus trouvent en Jean-Sébastien Bou et Jean Teitgen des interprètes fiables. Malgré une diction peu sûre et des notes souvent gardées en arrière-gorge, Aimery Lefèvre est un Junius prometteur dont la couleur devrait épicer des ouvrages russes ou italiens.

D’une économie de moyens qui annonce les futures paraboles d’église, l’orchestration de ces deux actes enchaînés exige de chacun des treize instrumentistes un travail de soliste. Aujourd’hui, malheureusement, l’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours conduit par Emmanuel Trenque souffre de déséquilibres : les cordes sont pâteuses, les cuivres peu francs, les percussions pesantes, la flûte assez terne alors que piano, harpe et clarinette éclatent de netteté et de brillance. Mais cela paraît presque anecdotique en comparaison de la qualité générale d’un spectacle qui mérite les applaudissements prolongés du public.

LB