Chroniques

par gilles charlassier

The Telephone – Hin und zurück – Il segreto di Susanna
Le téléphone – Aller-retour – Le secret de Suzanne

opéras de Gian Carlo Menotti, de Paul Hindemith et d’Ermanno Wolf-Ferrari
Théâtre La Renaissance, Oullins
- 7 mars 2019
Trilogie Menotti, Hindemith et Wolf-Ferrari au Théâtre La Renaissance d'Oullins
© christophe dellière

Depuis neuf ans, avec leur compagnie operact, créée en 2010, Stephan Grögler et Gaëlle Méchaly renouvellent le spectacle d'opéra par des formes légères, mobiles et modulables pour explorer des lieux et des formats délaissés par les grands acteurs du genre. Ainsi en est-il du spectacle Køuples, trilogie de courts-métrages lyriques, en tournée au Théâtre de la Renaissance d'Oullins.

Avec la complicité ludique de Nicolas Farine au piano, lequel collabore régulièrement avec le metteur en scène franco-suisse-autrichien depuis près de deux décennies, le triptyque se propose de décliner les avatars du couple et de ses fatigues à l'heure de la société de consommation, redonnant une nouvelle jeunesse à des opus de la première moitié du XXe siècle, associés par-delà leur apparente hétérogénéité : The Telephone de Menotti, Hin und Zurück d’Hindemith et Il Segretto di Susanna de Wolf-Ferrari. Alexandros Markéas a réalisé des interludes électroacoustiques pour lier les trois pièces, donnant à l'ensemble une remarquable plasticité dramatique, sans temps mort. Au demeurant, la bigarrure esthétique ne corrode pas l'intégrité des œuvres que la réduction pianistique ne trahit point – le Wolf-Ferrari sera agrémenté, par moments, de compléments orchestraux enregistrés pour retrouver le chatoiement ironique de la version originale.

Dessinés par Patricia Faget, les costumes déploient une irrésistible palette chamarrée qui se décline au gré des trois intrigues, au diapason d'une scénographie habillée par les vidéos en pop-up de Charles Carcopino, les illustrations conçues par Jean-Baptiste Carcopino et les animations visuelles de Simon Frezel – sans oublier le travail des lumières réalisé par Cyril Mulon. Loin de se réduire à un accompagnateur sobre, Nicolas Farine endosse lui-même le déguisement d'un des personnages de chacun des arguments, avec une délicieuse exubérance, à l'exemple du rose et des lunettes d'un avatar de Tootsie chez Menotti.

Le charmant bavardage de l'opéra bouffe The Telephone, qu'une cellule thématique peut aisément résumer, se déroule dans un décor floral très seventies. Il tourne en dérision les effusions primitives de l'amour passées au filtre des appendices de la télécommunication. Le sketch façon Tex Avery d'Hindemith contraste avec ses camaïeux d'anthracite, dans une crise de jalousie qui tournerait au meurtre s'il n'y avait de seconde chance grâce à la réversibilité de l'horloge. Quant à l'intermède de Wolf-Ferrari, dont on a coupé une reprise du vaudeville qui aurait pu sonner redondante, la dissimulation s'applique à un dérivatif d'une libido sur le déclin, la cigarette, sur fond de spots publicitaires post-soixante-huit, carte postale du bonheur domestique – le plaisant jeu de superposition peut confiner, dans son exhaustivité, à une relative saturation.

Incarnant le couple aux trois âges de la vie conjugale, Gaëlle Méchaly et Ronan Debois affirment un engagement évident dans une performance qui ne néglige pas un certain athlétisme. La volubilité, à l'occasion mutine, du soprano français s'allie avec la présence de son partenaire baryton qui privilégie la qualité de l'incarnation. Loin de n'être qu'un marché de gosiers, l'art lyrique est aussi une performance scénique alerte que les plus jeunes ne pourront taxer de poussiéreuse, ce que les classes de secondaire, dans le public de ce jeudi soir,ne démentiront pas. Avec Køuples, Stephan Grögler réussit le pari de sortir l'opéra de son ghetto.

GC